Perceval le Gallois ou le Graal intérieur

Pierre-marie HASSE
Le mariage - n°25 Septembre - Octobre 1979 - Page n° 94

Le dernier film d'Eric Rohmer parvient à rendre visible ce qui ne peut se voir : l'intériorisation même de la quête du Graal.

La première page, 94, est jointe.

 

 

 

L'ART de mettre des actes en paroles, c'est le récit ; l'art de mettre un récit en actes, c'est la comédie. Le récit, lorsqu'il est fidèle, atteint la vérité. La comédie, lorsqu'elle est juste, crée l'illu­sion. Et l'illusion arrive à sa perfection dans le cinéma.   Supposons maintenant, comme c'est le cas dans Perceval, que le récit demeure ce qu'il est en sa vérité au moment même où il est mis en acte : chacun des acteurs est simultanément le récitant de ce drame qu'il joue et le héros, partant de soi comme du héros, nous dit lui-même ce qu'il est dit avoir fait ou pensé ou dit, en le faisant ou en le pensant ou en le disant au discours direct ou indirect, selon les nécessités du récit. Alors, plus de pensée qui ne le soit tout haut, plus de jeu qui ne soit déjoué, toute illusion se dissipe, comme par un tout autre enchantement. Si ce n'est plus du cinéma, c'est pour autant que tout le côté « cinéma » du cinéma s'y trouve découvert, afin qu'il n'y reste plus rien que de naïf et de vrai tout à la fois, de cette vérité qui sort de la bouche des enfants : car eux aussi parlent naturellement d'eux-mêmes à la troisième personne, comme en parlerait un autre à un autre en quelque mystérieux concert de trois qui ne font qu'un.  Mais un tel usage n'est jamais mieux fondé que lorsque le conte est celui du Graal, c'est-à-dire de ce ciboire où est l'hostie, consacrée par la parole du Christ parlant de lui-même indirectement à travers son prêtre : le prêtre le premier est ce réci­tant du récit de la Cène qui en devient acteur, en ce moment de la consécration où ce n'est plus lui qui parle mais le Christ qui parle en lui — la Parole se faisant elle-même nourriture. Il n'est que cette Parole dont la récitation de Perceval puisse rece­voir un sens, ou plutôt sa mesure : ce qui nous est signifié, c'est qu'à l'inverse du prêtre, Perceval n'est que son propre inter­prète, — Perceval joue à être Perceval.

Aussi voit-il passer devant lui le Graal sans comprendre ni demander rien, quelque désir qu'il en ait, car on lui a enseigné à parler, pour être un sage, le moins possi­ble : et ainsi laisse-t-il en même temps l'occasion qui lui était donnée par une seule question, alors, de délivrer du sort qui leur était jeté le Roi pécheur, gardien du Graal, et son royaume. S'il pèche, c'est par obéis­sance, mais s'il obéit, c'est à la lettre, et cette obéissance littérale est ce qui lui interdit la révélation, l'irruption de l'éternité dans son propre temps, puisqu'en cette occasion ce n'est rien de moins que l'éter­nité qui lui passe devant. C'est parce qu'il pense répondre parfaitement à ce qui lui est demandé qu'il ne demande rien, donc ne reçoit rien, se réservant pour plus tard une enquête au lieu de la requête où il s'ouvrirait au présent de ce qui lui est donné. Or « Malheureux est celui qui voit / Aussi beau temps qu'il lui convienne /

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