Le couronnement de la Vierge

M. Christophe CARRAUD
L'Esprit Saint - n°63 Janvier - Février 1986 - Page n° 123

Illustration

Christophe CARRAUD

Le Couronnement de la Vierge d'Enguerrand Quarton est de ces rares tableaux qui semblent déployer dans leur chant, comme l'Agneau mystique des Van Eyck, tout ce que nous pouvons dire et comprendre du mystère divin.

 

La vignette de couverture n'en présente que la partie centrale (la totalité est accessible) . J'aimerais décrire brièvement la véritable somme théologique qu'il est en son ensemble.

Le Couronnement de la Vierge d'Enguerrand Quarton juxtapose apparemment une scène — la Trinité couronnant la Vierge Marie — à l'évocation du Paradis, du Purgatoire et de l'Enfer. C'est l'univers chrétien tout entier qui y prend place, selon l'ordre du mystère trinitaire, nous apparaissant ici par l'intercession de la Vierge Marie.

Au centre est l'Esprit ; dans sa gloire, la croix très fine, Marie, qui reçoit des Trois la couronne royale, et la Croix du Christ, plus bas, dessinent un axe qui partage gauche et droite de façon rigoureusement symétrique : de bas en haut, Purgatoire et Enfer, Rome et Jérusalem, le cortège des saints et des bienheureux, celui des anges, et enfin Père et Fils, que rien ne distingue, sinon le mouvement de leur manteau ; symétrie qui atteint sa perfection dans l'exacte similitude des visages du Père et du Fils, témoignant d'une intelligence unique du mystère des personnes : « Celui qui m'a vu a vu le Père », dit le Christ dans l'Evangile de saint Jean. C'est le seul témoignage pictural que nous ayons de la parfaite ressemblance dans la Gloire du Père et du Fils, dont la colombe, ailes déployées, joint les bouches [[La colombe de l'Esprit reliant Père et Fils, nous la trouvons aussi, vers la même époque, dans le retable de Boulbon [voir l'image->http://www.insecula.com/oeuvre/photo

ME0000028643.html] conservé au Louvre. Mais c'est une mise au tombeau que le peintre a représentée, et l'Esprit fait se répondre alors deux plans qui ne peuvent que différer : celui du Père, qui a de sa paternité la figure de l'âge, apparaissant dans une ouverture à gauche au-dessus de la Croix, et celui du Fils, dont le visage alors est celui de l'homme, jeune, mort sur la Croix. Mort de Dieu, demeure l'Esprit ; mort de Dieu, demeure Dieu : le Fils est mort, suprêmement Fils alors par l'Esprit, dans l'infinie distance qui Le sépare du Père.]], en soulignant ainsi la figure de la Croix qui apparaît plus bas et où meurt, entre ciel et terre, ou plutôt à la fois sur la terre et au ciel, le Crucifié ; car ce tableau, jusque dans la gloire de la Trinité, parce qu'y est reçue la Vierge de l'Incarnation, vibre d'humanité et de Divinité mêlées.

L'Esprit est au coeur, dans cette croix réaffirmée ; Esprit en peinture comme le mystère d'une colombe, — ailleurs, du vent.

Nous comprenons que le Fils ait même visage, qu'il ait picturalement même figure, étant consubstantiel au Père. Mais il ne l'est que lié à lui dans l'Esprit, qui affirme plus haut que tout, ici, dans ce vol sans lieu de la colombe, l'outrepassant de toute représentation. Il n'y a pas de visage de la colombe. Elle est le mystérieux invisible qui rend visibles les visages. Car l'Esprit est omniprésent : il n'est pas seulement dans ce lieu assigné par le peintre, mais auquel il ne se tient pas. De la gloire centrale, la colombe s'échappe, elle n'y siège pas, — elle habite la parole même du Père et du Fils qu'elle semble faire naître sur leurs lèvres, comme si elle y reposait ses ailes pour donner à la Parole sa parole. C'est cela que dit, plus encore qu'il ne manifeste la procession du Père et du Fils, le tableau d'Enguerrand Quarton.

L'Esprit est au centre de la Vie : n'est-ce pas aussi ce que viennent souligner discrètement, en reprenant la figure de la colombe, les mains de Marie qui se croisent sur son coeur en un mouvement de soumission humble ? Attitude même de Celle qui par l'Esprit va faire naître la Vie ; attitude de Celle qui se conforme à l'Esprit, et qui, dans ce Couronnement, fait à nouveau le geste d'obéissant accueil qu'elle eut devant l'Ange de l'Annonciation.

Nous qui regardons ce tableau, nous sommes à hauteur de l'horizon, mais appelés, dans l'élan de la Croix, à diriger nos regards plus haut, — de même que la Croix, qui était fichée en terre, s'en éloigne, devenue presque une île, où s'isole l'incarnat lumineux du Christ bientôt Roi, se détachant sur un ciel du même bleu royal que le manteau de la Vierge.

Ainsi, nul hiatus entre l'immobilité ample du Couronnement et les moments de la Passion. Les dimensions de l'histoire, du temps et du lieu, la perspective où se répondent, unies par la Croix, Rome et Jérusalem, le tableau ne peut que les reprendre, mais pour les ouvrir, par le chemin de la Croix, à la dimension sans temps ni lieu de la Gloire du Père, du Fils et de l'Esprit. Ainsi la parfaite symétrie que déterminait la colombe se résout-elle en une couronne sainte où tout prend une place encore inconnue ; l'orbe du ciel qui entoure la terre au bas du tableau, les courbes des nuées d'anges, des manteaux divins, renvoient à la parfaite unité trinitaire : car l'Esprit nous rend présent le sens de la Croix, il est présent dans l'histoire parce qu'il donne et ordonne, dans ce tableau, toutes les présences qu'il manifeste jusqu'à celles du Père et du Fils ; partout est l'Esprit, c'est-à-dire ni temps ni lieu, ni gauche ni droite, et l'admirable hiérarchie de ce tableau transcende dans l'Esprit la composition à quoi s'astreint la peinture ; en haut du tableau, il n'y a plus de perspective, il n'y a qu'un espace, — espace libre des dimensions auxquelles nous le soumettions, parce qu'il est celui de la glorification et du chant.

Le visage du Christ a la semblance de celui du Père, et nous aussi, nous sommes appelés à la parfaite ressemblance que dit saint Paul et que traduit la blancheur rayonnante de qui a revêtu le Christ. Et ce Couronnement de la Vierge, dans le paradoxe de ses dimensions, nous fait voir l'ordre de l'Esprit, nous fait voir sur la Croix le visage du Père, et dans la gloire les visages du Fils et du Père qui n'ont qu'un même visage. Et nous savons alors que la peinture, si elle ne peut montrer qu'une colombe, célèbre ainsi eschatologiquement le mystère où nous est révélée l'Incarnation.

Commentaire passionnant de l'illustration de couverture.

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