Ratzinger propose un langage accessible à l’homme d’aujourd’hui, le noyau central de la foi sans pour autant tourner le dos au donné dogmatique. La dimension culturelle liée au fait chrétien n’est donc pas considérée comme une médiation entre la Révélation et l’histoire mais, tout en respectant les justes distinctions, comme intrinsèque au mouvement dans lequel la venue du Christ, communiquée dans sa réalité effective, interpelle l’homme et l’histoire. Alors la théologie n’est pas quelque chose de désincarné : « J’ai cherché, autant que possible, à mettre clairement en relation ce que j’enseignais avec le présent et notre fatigue personnelle[4] ».
Tous ses écrits – et même toute sa conception de la théologie – en sont marqués.
C’est pour cela que Ratzinger tient à cœur le thème, si balthasarien, du lien entre théologie et sainteté. La théologie a atteint ses sommets dans l’histoire lorsqu’elle a su s’abreuver à la source de la sainteté : Antoine, Athanase, Benoît, Grégoire le Grand, François, Bonaventure, Dominique, Thomas. Le discours sotériologique ne consiste donc pas principalement à réfléchir sur les conditions de possibilité du parcours historique à travers lequel le Dieu trinitaire a sauvé l’humanité, mais à parler de notre salut. Parler de la grâce n’est pas approfondir la condition transcendantale de la possibilité d’une existence surnaturelle, mais regarder le Christ. « Du moment où il a assumé la nature humaine, il est présent dans notre chair et nous sommes présents en Lui, le Fils[5] ».
Il a tiré de l’étude des Pères et des docteurs de l’Église un concept d’expérience (expérience du peuple de Dieu) enrichi au contact des philosophes et théologiens contemporains, qui porte en lui surtout une attention continue à la manière dont les problèmes, les questions, les peurs, les urgences, les espoirs et les angoisses de l’homme se situent dans la situation concrète qui est la sienne. En second lieu il affirme que, dans l’Église, correspond à cette expérience vécue un certain primat sur les institutions et les préceptes. Cette conception de l’Église comme un milieu expérimental en fait, pour Ratzinger, un sujet qui agit dans l’histoire et le critère de toute action et pensée chrétiennes.
Cette attention vigilante à l’histoire peut être illustrée par une anecdote : quelques jours après sa renonciation, le 16 février 2013, le pape Benoît reçut les évêques lombards en visite ad limina, la dernière qu’il donna. Le pape était visiblement fatigué. Mais il donna la parole à chacun de nous. Il conclut la visite par des mots qui furent pour nous décisifs : Milan (et toute la Lombardie), par son passé ambrosien et par sa position (Mediolanum, la ville du milieu), est appelée à être le cœur croyant de toute l’Europe.
Nous avions pu, tout au long de son pontificat, en apercevoir les pierres miliaires.
Surtout la grâce qui est le Seigneur Jésus lui-même. Le primat du Christ, c’est-à-dire de l’Amour incarné de Dieu dans la vie du chrétien nous a été rappelé avec force dans l’encyclique Deus caritas est. On trouve dès le premier paragraphe ce qui est comme le fondement de tout son enseignement : « À l’origine du fait d’être chrétien, il n’y a pas une décision éthique ou une grande idée, mais la rencontre avec un événement, avec une Personne, qui donne à la vie un nouvel horizon et par là son orientation décisive. »
De là vient, tout naturellement, le développement proposé dans la fameuse intervention au Congrès de l’Église italienne à Vérone (2006) : « ‘Moi, mais non plus moi’ : c’est cela la formule de l’existence chrétienne fondée dans le baptême, la formule de la résurrection dans le temps, la formule de la ‘nouveauté’ chrétienne appelée à transformer le monde ». Une nouveauté, fruit du don de l’Esprit, gratuite, que nous n’avons en rien produite ni méritée. Une donnée – au sens fort du terme –qu’il faut recevoir et accueillir. La Vierge Marie représente la figure accomplie de la personnalité et de l’existence de Benoît XVI, qui, dans sa jeunesse, les yeux grands ouverts et le cœur plein de joie, montait au sanctuaire chéri d’Alttötting. À l’Annonciation, l’Immaculée prononce ce fiat qui se déploiera avec force dans le stabat du Calvaire et trouvera son plein accomplissement dans l’Assomption. Dans l’expérience humaine de Marie brille le sens achevé de la formule cooperare assentendo contenue dans le 4e Canon du Décret tridentin sur la justification.
La grâce qu’est Jésus Christ, vécue en compagnie de l’Église : c’est de cela, me semble-t-il, que la vie de Benoît XVI rend témoignage à notre liberté. Les dernières années de sa vie, dans le monastère Mater Ecclesiae, à l’intérieur du Vatican, en sont la confirmation efficace.
Traduit de l’italien par Jean-Robert Armogathe. Titre original : “Sufficiente, è soltanto la realtà di Cristo”.
[1] J. Ratzinger, Ma vie. Souvenirs. 1927-1977, Fayard, 1998.
[2] K. Rahner - J. Ratzinger, Révélation et Tradition, DDB, 1972.
[3] P. Seewald, Benedikt XVI. Ein Leben, Droener Vlg, 2020.
[4] J. Ratzinger, Le sel de la terre. Le christianisme et l’Église catholique au seuil du troisième millénaire. Entretiens avec Peter Seewald, Cerf-Flammarion, 1997.
[5] J. Ratzinger, Regarder le Christ. Exercices de foi, d’espérance et d’amour, Fayard, 1992.
[6] Parmi ses nombreux essais sur l’Église : Foi chrétienne, hier et aujourd’hui, Mame, 1969 (5è éd., Cerf, 2010) ; Le nouveau Peuple de Dieu, Aubier, 1971 ; Église, œcuménisme et politique, Fayard, 1987 (2è éd., 2005) ; Église et théologie, Mame, 1992 (2è éd., 2005) ; Dogme et annonce, Parole et Silence, 2012.
[7] K. Rahner - J. Ratzinger, Révélation et Tradition, DDB, 1972.
[8] J. Ratzinger, Le nouveau Peuple de Dieu, Aubier, 1971 ; Peuple et maison de Dieu dans l’ecclésiologie de saint Augustin, Artège-Lethielleux, 2017 ; Église, œcuménisme et politique, Fayard, 1987 (2è éd., 2005) ; Église et théologie, Mame, 1992 (2è éd., 2005).
[9] J. Ratzinger, Les principes de la théologie catholique. Esquisse et matériaux, Téqui, 1985 : « Le baptême est le sacrement de la foi, et l’Église est le sacrement de la foi ».
[10] « L’essentiel, même pour le Christ lui-même, n’est pas le fait qu’il ait annoncé des idées précises – ce qu’il a évidemment fait –, mais que je devienne chrétien dans la mesure où je crois à cet événement. Dieu est entré dans le monde et a agi, c’est donc une action, une réalité et pas seulement en ensemble d’idées », J. Ratzinger, Le sel de la terre, Cerf-Flammarion, 1997.
[11] « La seule chose que j’ai réussi à mener à bien fut le traité d’eschatologie pour la Dogmatique d’Auer, que je considère comme mon œuvre la plus achevée et la plus précise », J. Ratzinger, Ma vie, Fayard, 1998. Le traité a été traduit en français, avec un avant-propos de J.-R. Armogathe, La mort et l’au-delà. Court traité d’espérance chrétienne, Fayard, 1979 (4è éd., 2009).
[12] « Nous devrions nous efforcer de rendre compréhensibles les contenus et nous n’y réussirons que si nous les vivons profondément. Si à travers le vécu nous réussissions à devenir compréhensibles, alors nous pourrions trouver des mots nouveaux pour l’exprimer. Je dois ajouter que la communication des vérités chrétiennes n’est jamais seulement une communication intellectuelle. Elle dit quelque chose qui concerne l’individu tout entier et que je ne peux comprendre que si j’accepte d’entrer dans une communauté en chemin » ; J. Ratzinger, Le sel de la terre, Cerf-Flammarion, 1997.
[13] J. Ratzinger, Regarder le Christ, Fayard, 1992.
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