Une Eglise qui ne serait plus missionnaire serait démissionnaire - entretien avec le Cardinal Koch

le 02/10/2024 par Rédaction

Un entretien du cardinal Kurt Koch sur le prochain synode mondial à Rome avec Jan-Heiner Tück, professeur de dogmatique à a Faculté de théologie catholique de l’Université de Vienne et rédacteur en chef de Communio-D (15 septembre 2024).

Trad. fr. © Communio-F

 

Nous sommes au seuil de la session finale du Synode mondial. Nombreux sont ceux qui ne savent toujours pas ce qu'il faut entendre par synodalité. Avec quelles attentes abordez-vous l'aula synodale ?

Le fait que l'on réfléchisse pendant quatre ans à la synodalité aux différents niveaux de l'Église et que l'on tienne un synode à ce sujet surprendra probablement au premier abord. Mais comme ce mot peut recouvrir et recouvre des réalités très diverses, il est important pour la cohabitation au sein de l'Eglise de trouver une compréhension commune de ce concept et de se mettre d'accord sur celui-ci pour le présent et l'avenir. C'est avant tout un tel consensus sur la synodalité, élaboré au niveau synodal, que j'espère et que j'attends de la session finale du Synode mondial. C'est aussi la raison décisive pour laquelle le pape François a initié ce processus.

Le pape François a appelé non seulement des évêques, mais aussi des prêtres et des laïcs, dont des femmes, à devenir membres du synode des évêques. Des critiques ont rejeté cet élargissement et affirmé que le prochain synode mondial n'était plus du tout un synode des évêques. Comment jugez-vous cette critique ?

Tant derrière la décision du pape que derrière les critiques de cette décision se trouvent des préoccupations légitimes. Même si, dans sa forme actuelle, les évêques représentent clairement la majorité, il ne s'agit plus d'un synode des évêques au sens strict du terme. D'un autre côté, le pape est convaincu que, précisément lorsqu'il s'agit de rechercher de nouvelles voies de synodalité dans l'Église, les évêques ne doivent pas être les seuls à délibérer, mais aussi les prêtres et les laïcs. Je pense qu'il s'agit là d'une première tentative d'impliquer une plus grande représentation du peuple de Dieu. Les délibérations devront toutefois montrer si l'on peut s'en tenir à la forme actuelle ou si, à côté du Synode des évêques, on pourrait ou devrait par exemple institutionnaliser une autre enceinte synodale au niveau de l'Église universelle.

L'Église a toujours besoin d'être renouvelée. C'est pourquoi le Synode mondial débutera par une veillée de repentance et une confession publique des fautes. Qu’st-ce que cela va signifier ?

L'Église a reçu la mission de proclamer le message de l'Évangile de Jésus-Christ dans le monde d'aujourd'hui. Comme elle est toujours en retard sur cette mission et qu'elle en est donc redevable, et comme certains membres de l'Église sont également coupables envers leurs semblables, elle est toujours appelée à confesser ses fautes et à se repentir. Dans la conception chrétienne, la confession de la culpabilité est liée, de la part de Dieu, au cadeau d'un nouveau départ. Une confession de culpabilité contient le message important que le renouveau de l'Église n'est possible qu'à partir du cœur de la foi et que la réforme est vraiment la reforme, le fait de retrouver la vraie forme.

Le processus synodal doit favoriser la dynamique missionnaire de l'Eglise. Le mot mission n'a pas bonne presse dans ce pays [Allemagne]. Comment expliqueriez-vous aux sceptiques l'intention du pape François de renforcer le dynamisme missionnaire de l'Église ?

Je suis toujours étonné de constater que le mot et la cause de la mission ont souvent une meilleure résonance en dehors de l'Église qu'en son sein. Dans le monde d'aujourd'hui, chaque entreprise et chaque société a l'habitude d'affirmer avec conviction : "We have a mission". Comment l'Église pourrait-elle ne pas avoir de "mission", d'autant plus qu'elle ne se la donne pas elle-même, mais qu'elle l'a reçue de Celui qu'elle annonce ? Une Eglise qui ne serait plus missionnaire serait donc déjà dé-missionnaire.

Certains, qui attendent du synode la réalisation de vœux de réforme formulés de longue date (diaconat des femmes, libéralisation de la morale sexuelle de l'Eglise, participation accrue des laïcs, etc.), voient dans le discours sur l'Eglise missionnaire une sorte d‘immunisation sprituelle contre les questions structurelles. À juste titre ?

La mission de l'Église consiste, comme nous l'avons dit, en sa mission. Les structures lui sont affectées et doivent la servir. Il ne peut donc pas y avoir d'opposition ou d’immunisation entre la mission et les structures. La comparaison avec une bouteille de vin s'impose. Bien sûr, pour pouvoir transporter le vin avec soin, il faut aussi prendre soin de la bouteille. Mais le souci de la bouteille ne doit pas devenir si grand que la bouteille devienne plus importante que le vin et que le précieux vin ne soit plus apprécié. En ce sens, chez le pape François, la synodalité est au service de la mission et non l'inverse.

La décision du pape de confier à des groupes d'étude des thèmes délicats comme le diaconat des femmes ou l'attitude de l'Église envers les personnes LGBTQ a été critiquée comme une intervention dirigiste dans le processus synodal - d'autres y voient une gestion prudente et intelligente. Comment jugez-vous cela ?

La décision du pape s'explique probablement par le fait qu'il voulait éviter des attentes irréalistes. En effet, attendre de la période de quatre semaines du synode qu'en même temps que la clarification du thème principal de la synodalité, les thèmes et préoccupations que vous avez mentionnés puissent être discutés et décidés de manière intensive, dépasse les possibilités réalistes. Ils exigent un traitement approfondi et chronophage. C'est sans doute pour cette raison que le pape François a réparti ces thèmes en dix groupes afin de poursuivre la discussion.

Deux desiderata sont abordés dans l'Instrumentum Laboris : les "formes toxiques de cléricalisme" et la promotion efficace des femmes dans l'Église. Que peut-on attendre de manière réaliste dans ce domaine - et qu'est-ce qui ne l'est pas ?

D'une part, il convient de faire la distinction entre la mission du clergé dans l'Église et le péché de cléricalisme. Alors que le clergé doit assumer une mission importante dans l'Église, le cléricalisme est un abus de la mission confiée au clergé. Il ne faut pas occulter le fait que le "cléricalisme" constitue une tentation originelle et qu'il peut également être constaté chez les laïcs. D'autre part, on ne peut pas partir du principe que la place et la mission adéquates de la femme dans l'Église seraient déjà trouvées de manière satisfaisante aujourd'hui. Ces deux thèmes ont encore besoin de conseils solides et sensibles.

Dans Evangelii Gaudium, le pape François a déjà parlé de son désir de faire avancer la "décentralisation salutaire" et de valoriser les conférences épiscopales en tant que "sujet avec ses propres compétences" (cf. EG 32). L'Instrumentum laboris propose de doter les conférences épiscopales "d'une autorité doctrinale propre" afin de pouvoir agir en fonction des situations dans les différents contextes socioculturels. Des théologiens comme Henri de Lubac et Joseph Ratzinger étaient sceptiques à ce sujet. Au-delà de la collégialité affective, attribuer une dimension effective aux conférences épiscopales pourrait, selon eux, limiter l'autorité de direction de chaque évêque à la tête d'une Église locale. Avez-vous des idées pour résoudre cette tension ?

En premier lieu, il est important de percevoir qu'il s'agit en effet d'une tension difficile à équilibrer. Car d'une part, la responsabilité inaliénable de l'évêque en matière de foi doit être respectée, ce qu'Henri de Lubac et Joseph Ratzinger ont justement critiqué. D'autre part, l'évêque est le responsable du diocèse qui lui est confié, en tant que membre du collège épiscopal. Attribuer aux conférences épiscopales le caractère de sujet doté de compétences propres présuppose donc aussi que la collégialité entre les évêques devrait être développée de manière plus intensive et que les décisions devraient être prises de manière collégiale et synodale. La question de savoir si les conférences épiscopales nationales sont le lieu adéquat pour cela ou s'il ne faudrait pas plutôt penser à des structures plus grandes, dépassant le cadre national, par exemple au niveau continental, me semble être une question ouverte. En ce qui concerne l'autorité doctrinale, la question cruciale ne sera pas déjà de savoir si une autorité doctrinale peut être attribuée à de telles conférences, mais plutôt dans quels domaines de la doctrine de la foi et des mœurs cela sera possible sans mettre en danger l'unité de l'Église.

L'évêque d'Essen, Mgr Franz-Josef Overbeck, vient de déclarer lors de la conférence de presse de la Conférence épiscopale allemande à Fulda qu'il pouvait s'imaginer, compte tenu des différences culturelles et sociales au sein de l'Eglise universelle, des réglementations différentes selon les régions pour l'égalité des droits des femmes. Ainsi, le synode mondial devrait donner aux conférences épiscopales nationales des espaces de liberté, par exemple pour autoriser les femmes à accéder aux ministères ordonnés. Il a toutefois immédiatement nuancé sa proposition en précisant qu'il était probablement encore trop tôt pour le moment. Si cela se produisait effectivement, le concept de décentralisation salutaire pourrait peut-être aussi déployer un potentiel de division, si une Église locale décidait différemment sur une question aussi décisive - n'est-ce pas ?

S'il s'agissait uniquement de réglementer l'égalité des droits des femmes, on pourrait approuver cette proposition. Mais en ce qui concerne l'accès des femmes aux ministères ordonnés, le pape Jean-Paul II a déclaré dans son exhortation apostolique Ordinatio sacerdotalis que l'Église n'avait pas de pouvoir en la matière ; et ses deux successeurs, Benoît XVI et François, ont confirmé cette position. Cette question est donc identifiée comme une question de foi - et pas seulement de culture - et il est donc impossible que des conférences épiscopales individuelles décident si l'Église a ou non des pouvoirs en la matière. Il convient de rappeler à cet égard que plusieurs conférences épiscopales ont fait usage de la possibilité de réintroduire le diaconat permanent des hommes mariés, ce qui supposait toutefois la déclaration de principe de cette possibilité au niveau de l'Église universelle (cf. Lumen gentium, 29). Cela s'appliquerait a fortiori à la question de l'ouverture des ministères ordonnés aux femmes. Que ce soit justement sur la question du ministère ecclésiastique, qui est particulièrement au service de l'unité de l'Église, que les évêques individuels ou les conférences épiscopales puissent décider, ne me semble pas être une possibilité réaliste à la lumière de la conception catholique de l'Église.

Dans un passage décisif de l'Instrumentum Laboris, l'autorité de l'épiscopat, fondée sur le sacrement, est qualifiée d'"intangible". On peut y voir un rejet de la voie synodale en Allemagne qui, par le biais de l'engagement volontaire, voulait lier l'autorité de direction épiscopale aux décisions prises à la majorité par des organes synodaux mixtes. En même temps, il est dit que les décisions épiscopales ne sont "pas inconditionnelles". La transparence et l'obligation de rendre des comptes sont exigées. Comment cela peut-il se présenter concrètement ?

La figure de l'engagement volontaire des évêques à lier leur autorité de direction aux décisions majoritaires des organes synodaux constitue en effet une figure de pensée problématique, incompatible avec la conception catholique de l'Église. Car un évêque ne peut pas se dispenser lui-même de l'engagement qu'il a pris lors de son ordination. Mais c'est précisément pour cette raison qu'il doit assumer sa responsabilité de direction de manière à ce qu'elle soit vécue conformément à l'Évangile et au service de l'Église locale confiée à l'évêque ; et la transparence et l'obligation de rendre des comptes en font également partie. Car l'Église est la communauté de foi qui est à la fois hiérarchique et synodale. Dans ce contexte, il convient d'accorder une attention particulière au "en même temps" lors des délibérations synodales.

La promotion du synodal dans l'Église catholique a des répercussions positives sur le dialogue œcuménique. Où voyez-vous des potentiels particuliers dans ce domaine, notamment après la récente publication du document sur le ministère du pape ?

Les différentes Églises et communautés ecclésiales ont développé différentes formes de synodalité dans leur vie et leurs structures. L'Église catholique peut apprendre beaucoup d'elles en explorant ses propres formes de synodalité. D'autre part, la force de l'Eglise catholique réside dans le fait qu'elle dispose d'idées claires sur la primauté. Elle est ainsi convaincue que la primauté pétrinienne de l'évêque de Rome est un don particulier de Jésus-Christ à l'Église, qu'elle ne peut donc pas garder pour elle, mais qu'elle souhaite également offrir à d'autres communautés ecclésiales. Le rapport entre synodalité et primauté est donc une question qui revêt une importance particulière du point de vue œcuménique et qui exige une volonté d'apprendre de part et d'autre.

L'équilibre au sein de l'Eglise catholique mondiale s'est déplacé. Par son voyage de 12 jours en Asie et dans la région du Pacifique, le pape François vient de souligner l'importance croissante du Sud global. Que signifie la fin de l'eurocentrisme pour l'Église catholique en Europe ? Y voyez-vous aussi des opportunités ?

En tout état de cause, la fin de l'eurocentrisme ne peut pas signifier la fin de l'Église catholique en Europe. Elle implique plutôt que l'Europe, qui porte en elle un grand passé chrétien, doit trouver sa nouvelle place dans l'Église universelle et continuer à apporter sa contribution spécifique. Cette nouvelle situation comporte des défis, mais aussi des opportunités. Au cours des siècles passés, l'Église en Europe a apporté de nombreuses contributions à l'Église universelle par l'envoi de personnes et la création d'œuvres ecclésiastiques. Aujourd'hui, alors que le christianisme en Europe est devenu faible et fatigué de croire, il a besoin à son tour d'injections de vitamines spirituelles en provenance de l'Église universelle, qu'il convient d'accepter avec humilité et gratitude.

Dans le domaine de l'éducation et de la charité, l'Église apporte une utilité à la société qui est appréciée de tous. Quelle importance accorderiez-vous à "l'utilité" (Thomas Mann) pour une Église synodalement missionnaire ?

Il est réjouissant de constater que la contribution de l'Église dans le domaine de la charité et de l'éducation est également appréciée dans la société actuelle. Mais si l'Église se contentait de cela et déterminait son utilité sociale uniquement sur cette base, elle contribuerait elle-même à son auto-sécularisation. Car la véritable signification de l'Église réside précisément dans la référence au "super-utile", c'est-à-dire à la transcendance de Dieu, dans laquelle l'homme peut trouver l'abri de sa dignité. C'est pourquoi l'Église tient à ce qu'elle ne se contente pas de défendre la primauté du "superflu" sur l'utile, et donc la primauté de l'invisible sur le visible, et la primauté de la réception sur l'action propre, mais qu'elle la vive aussi.

Un processus qui, depuis 2021, a organisé de manière échelonnée des consultations synodales locales, régionales et universelles, arrive maintenant à son terme provisoire à Rome. Quel sera l'impact durable du Synode mondial sur l'avenir de l'Église ? Quelle serait votre perspective ?

Le processus de quatre ans a certes été nécessaire pour redécouvrir et vivre la dimension synodale dans la vie de l'Église. Mais après ce long processus, il sera indiqué que l'Église ne continue pas à s'occuper d'elle-même de manière aussi approfondie. Il faut plutôt espérer qu'elle aura trouvé dans le processus synodal de nouvelles voies pour pouvoir assumer sa mission de manière encore plus crédible et avec un nouvel élan. Car la synodalité n'est pas un but en soi, mais un moyen important pour atteindre l'objectif d'apporter le mystère du Dieu vivant aux hommes et de conduire les hommes au Dieu vivant. C'est sans doute pour cette raison que la perspective de la mission est prioritaire dans l'optique du pape François.

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