L'homme d'aujourd'hui face à la peur

le 08/04/2020 par Angelo Scola

Communio vous propose un article du Cardinal Angelo Scola, archevêque émérite de Milan, sur la peur, particulièrement visible en cette période de confinement. Un sentiment qui se répand et envahit nos conversations, nos rapports et nos cœurs. Comme Renzo dans Les Fiancés de Manzoni, nous sommes effrayés de notre propre peur. Quelle digue peut la contenir ? Une réponse.

Renzo, « effrayé par-dessus tout de sa peur elle-même, rappela à lui ses esprits et commanda à son cœur de tenir bon » (Manzoni, Les fiancés, ch. 17). Cette forte observation de Manzoni sur le débat interne qui agite Renzo fuyant la nuit à travers les bois pour traverser l’Adda, la rivière qui faisait frontière entre le duché de Milan et la République de Venise, rend bien compte du sentiment de détresse, de peur et de panique qui nous saisit tous aujourd’hui. Nous aussi nous sommes effrayés, moins du coronavirus que de notre propre peur très humaine. Tout se passe comme si ce sentiment avait perdu tout objet pour assumer une valeur en soi. Peut-être une des causes furent les hésitations de l’information entre minoration et alarmisme ? Il faut dire tout de suite que la peur peut et doit être vaincue « en commandant à notre cœur de tenir bon ».

La liste douloureuse et précise des effets du virus, les décrets avec les restrictions inévitables, les conseils précis pour éviter la contagion ou l’affronter de manière efficace, la compassion pour ceux qui meurent (et qui n’est pas atténuée par leur âge) …ceux qui sont atteints par la peur ne peuvent plus la maîtriser. Elle galope comme un étalon indompté, à bride abattue, expression impalpable, mais obstinée, de la contagion qui nous menace.

Certes, cette menace emprunte aussi d’autres chemins pour nous tenir en échec. La plus importante est celle des conséquences économiques certainement considérables.  Mais même cet objet qui, tout de suite après le précédent, est affronté avec sérieux et rigueur, ne rend pas raison de notre peur. Elle se répand en toute autonomie et envahit nos conversations, nos rapports et nos cœurs. Quelle digue peut la contenir ?

La force d’un sujet, personnel et communautaire, qui commande au cœur de tenir bon. Mais pour ce faire, pour obéir à cet ordre qui vient de l’intérieur de nous-mêmes, il faut trouver la ressource adaptée. En reconnaissant surtout la limite qu’impose l’actuel changement d’époque, mais dont la racine remonte aux origines du monde moderne, je veux dire : la disparition du sujet.

On ne peut faire face à cet événement extraordinaire qu’en le renvoyant au sujet qui la vit, selon les différentes manières qu’il a de la vivre. Par nous tous, plus ou moins atteints par le risque de contagion, les malades, le personnel sanitaire si complètement dévoué, et tous ceux qui s’emploient à mettre un terme à l’épidémie. Pour répondre comme il convient à cet événement, il me faut répondre à la question : « Qui suis-je ? ». Et le « je » est toujours dans une relation. Lorsque la vie est menacée, on ne peut pas écarter l’invitation de Sénèque à son ami Lucilius : « Tu dois vivre pour autrui, si tu veux vivre pour toi-même » (Lettre 48). Nous devons retrouver, dans les nouvelles formes de culture, ce qui a sous-tendu la grande tradition européenne : le rapport à nous-même, aux autres et à Dieu. Ce qui s’identifie ou du moins appartient à notre expérience commune.  En un mot, nous ne pouvons plus éviter la question du sens : pour qui est-ce que je vis ? Et quelle direction entends-je donner à mon chemin ici-bas ? Ces questions sont incontournables, non seulement en raison de la compassion humaine naturelle qui nous pousse à nous unir face aux menaces du moment, mais à cause du bien commun du vivre ensemble.

Même dans une société plurielle comme la nôtre, ce critère pratique est l’unique qui puisse restreindre la détresse, la peur et la panique dans des limites rationnelles. Cependant, ce critère pratique du vivre ensemble doit être pris en charge comme un critère politique au sens large, qui implique les citoyens, les corps intermédiaires et les institutions. Pour vaincre la peur, il est nécessaire que tous ces sujets soient mobilisés.

Nous ne pouvons pas ici passer sous silence le devoir des « politiques » au sens restreint du terme. Nous devons, à notre époque, savoir redire, en pratique comme en théorie, ce qu’est l’expérience politique, la res publica, question sur laquelle se sont penchés les plus grands génies de notre culture. De manière plus précise encore, il est décisif que les « politiques » puissent mettre en œuvre une conception juste du gouvernement. Dans le Politique, Platon avait déjà établi une analogie intéressante entre l’homme politique et le tisserand qui, pour obtenir une étoffe souple et résistante à la fois, doit « être capable d’unir une chaîne solide à une trame légère », afin d’associer « les avis opposés, les opinions opposées ». La philia aristotélicienne (l’amitié civique) devient d’une brûlante actualité.

 

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