« Qui me voit, voit le Père »− Remarques sur la phénoménologie de la vision

Comment peut-on voir l’invisible ? Ce paradoxe conduit d’abord à s’interroger sur ce que voir veut dire. S’agit-il d’atteindre l’objectif décidé d’avance par l’intentionnalité d’une visée antérieure, ou, au contraire, de laisser surgir ce qui se donne à voir ? Or ce qui se donne à voir déborde souvent, peut-être toujours, ce que le regard prévoit. En sorte que (surtout si l’on considère les avancées de la phénoménologie récente)c’est dans le désert de l’intentionnalité que l’on voit le mieux – l’invisible.

« Qui me voit, voit le Père »− Remarques sur la phénoménologie de la vision

Pour comprendre la phrase de Jésus en Jean 14,9, il faut d’abord se représenter le caractère propre à la vision. Depuis que la Renaissance italienne a découvert la perspective comme huitième « art libéral » ¹, c’est-à-dire comme « art de voir », l’homme de la modernité voit ce qui lui advient dans un champ limité par le regard individuel : il devient lui-même la mesure de ce qui se montre à lui ou bien il ne consent à voir que ce qu’il veut voir ². Le Moyen-Âge créait encore, en sculpture et en peinture, des visages dont les yeux étaient largement écartés : ce n’était pas le signe d’une incompétence de l’artiste mais celui d’une autre perception : ce regard ne place pas la réalité dans un fragment mais laisse « advenir » le Tout, omnia simul. Comme si la réalité déferlait contre le champ de vision, poussant les yeux vers l’extérieur et sur les côtés. Ces différentes représentations de la vision rendent déjà manifeste que jeter un regard sur la réalité ne conduit pas l’œil à simplement reproduire mais, en quelque sorte, à réfréner ce qui fait irruption, également à neutraliser, accentuer, mettre en relief, retoucher ce qui est vu... Mais, dans le même temps, la réalité ne cesse – si on la laisse faire – de peaufiner le cadre mis en place. D’un autre côté, elle ne pourrait subsister si elle n’était pas sans cesse ordonnée pour servir à la compréhension humaine, si on ne lui répondait pas par l’acte créateur de l’œil. Les réflexions suivantes porteront sur cette relation pleine de contradictions entre l’œil et la réalité...

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 1 En 1493, sur le tombeau de Sixte IV, Antonio del Pallaiuolo définit la perspective comme huitième art libéral, au même niveau que les artes liberales traditionnels. Voir H.-B. GERLFALKOVITZ, „Perspektive und Geometrie“, in: Einführung in die Philosophie der Renaissance, Darmstadt 2.a. 1995, p. 127-150.

 2 La télévision, de façon poussée à l’extrême, ne montre plus que des « extraits » de réalité. Rien que par omission, la plupart de ce qui nous est montré tend au mensonge. Communio_280_U9_22065 - 18.3.2022 - 09:27:20 - page 72 Hanna-Barbara 
Gerl-Falkovitz