D’une révélation qui serait juive −À propos de Ce que sait la foi, de Vincent Carraud

Quant à la Révélation, la différence entre judaïsme et christianisme reste fondamentale : le christianisme revient toujours à l’Événement de la révélation, par-delà les textes, qui en sont les dépôts ou les retombées, toujours à transcender en direction de l’Événement, c'est-à-dire vers le Christ. Le judaïsme n’appelle de son côté aucun mouvement de dépassement du texte vers l’événement de la donation, et de la donation vers le donateur : il s’en tient au don donné. La Loi et son interprétation infinie constitue le lieu de la Révélation, sans manifestation (hypostatique) sinon sa mise en œuvre par le juif fidèle

D’une révélation qui serait juive  −À propos de Ce que sait la foi, de Vincent Carraud

Il est heureux qu’un livre de théologie catholique suscite un débat théologique mêlant juifs et chrétiens. Car depuis Nostra Aetate, la discussion s’est beaucoup attachée à établir entre juifs et chrétiens une « reconnaissance mutuelle » au prix (c’était sans doute nécessaire) du silence sur les principaux points de dissensus. L’heure étant à présent à la confiance, il devient possible d’ouvrir un véritable débat – un débat qui ne jette aucun voile sur les désaccords mais qui, au contraire, s’y installe et s’y ente ¹ ; car il ne saurait y avoir d’accord sur un malentendu, sinon purement provisoire et pour ainsi dire diplomatique. Je me réjouis donc que l’essai de sincérité réponde à la demande de la revue Communio et à celle, toute amicale, de Vincent Carraud. Ce dernier a publié en 2020 un important ouvrage Ce que sait la foi ², dont le chap. III (p. 57-85) défend une thèse de nature à faire réagir les juifs : qu’il ne saurait y avoir « à proprement parler » (notons d’emblée cette clause) de révélation dans l’Ancien Testament ; en effet, puisqu’il ne saurait y avoir de révélation sans le Christ, seul le Nouveau mettrait en œuvre une révélation. Avant d’examiner plus avant cette thèse et éventuellement d’y répondre, rapportonsen les principaux moments. – Il convient, nous dit V. Carraud, de prendre le mot de révélation au sérieux : « revelare » vaut dans saint Jérôme l’apokaluptein des LXX³, c’est-à-dire le verbe legalot (לגלות( hébraïque (n. 59) : ainsi, quand, en I Samuel 9, 15, il s’agit de repousser une mèche de cheveux pour découvrir l’oreille. Dès lors, qu’est-ce querévéler ? C’est dé-voiler, ôter le voile qui s’interpose entre ce qui doit être vu et l’œil qui voit : qui dit révélation dit visibilité, ou plutôt advenue du non-encore-visible à la visibilité de ce qui est dé-couvert. De cette définition séminale suivent deux conséquences...

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 1 Pour une tentative d’aller plus loin que Nostra Aetate, voir V. HOLZER, « Pérégrination paulinienne (Actes 11-28) et ‘‘permanence d’Israël’’, une interrogation pour les théologies chrétiennes », Transversalités,2021/4, 159 en écho à notre propre tentative dans le champ juif : « Pour le Nom », in R. Scholtus, éd., Cinq éloges de la rencontre, Paris, Albin Michel, 2015, p. 92-118.

 2 V. CARRAUD, Ce que sait la foi, Paris, Parole et silence/Communio, 2020.

 3 Ibid., p. 75, n. 60.