L'âme et la beauté

A partir du livre de B. Bro La beauté sauvera le monde et d'une étude sur Fra Angelico, on s'aperçoit qu'il est propre au christianisme de révéler le visage humain parce qu'il peut revêtir le Christ.

L'éducation du goût est chose délicate car elle ne souffre guère de démonstration, devant se contenter de la monstration, si l'on ose dire. On sait bien qu'il ne s'agit pas d'apprendre à discerner le beau du laid, ce qui est presque affaire de psychologie sociale, mais le beau authentique du beau fallacieux ! Ou plutôt la beauté de la joliesse, l'esthétique de l'esthétisme, la beauté qui a une âme de celle à qui elle semble avoir été refusée.

Il y a évidemment bien des degrés en tout cela. À titre d'exemples, un peu trop éphémères il se peut, prenons trois films français récents, bien accueillis par la critique et par le public : l'Amant de Jean-Jacques Annaud ; Tous les matins du monde d'Alain Corneau et le Van Gogh de Maurice Pialat. La dernière de ces trois oeuvres paraît la moins soignée, la moins agréable : elle est incontestablement la plus proche de la beauté que présente une oeuvre d'art.

Si on laisse de côté les coûteuses et impeccables images de l'adaptation du petit roman de Marguerite Duras, avec laquelle l'auteur a su prendre ses distances, le film-livre de Pascal Quignard offre un cas intéressant. Tous les matins du monde, malgré sa rigueur apparente et sa maîtrise auxquelles on est vraiment heureux de succomber dans un premier temps, frôle l'état de grâce mais n'y arrive pas, pour des raisons probablement spirituelles. On peut presque lui appliquer la remarque cruelle — et centrale dans le film — que le scénariste prête à M. de Sainte-Colombe s'adressant à Marin Marais : « Vous ferez de la belle musique mais vous ne serez pas musicien ! » Pialat, lui, est musicien ; ou plutôt il est peintre et s'est montré capable, sans recherche de perfection mais avec une vraie audace, de transcrire la recherche picturale et aussi métaphysique, toujours décalée, d'un Van Gogh. [...]