Au-delà du voile

Si l'espérance porte en elle la jeunesse des messagers de la bonne nouvelle, c'est parce que, au-delà des obstacles, au-delà de la tentation du désespoir et du suicide, elle se manifeste comme la vertu de l'attente et de la fidélité. Fondée sur la foi et nourrie de la charité, traversant la mort, elle nous introduit à la plénitude de la vie éternelle.

Peut-être Péguy a-t-il sans le vouloir causé quelque tort à la vertu d'espérance ou du moins créé une confusion. La petite fille allègre qui chemine entre ses grandes soeurs risque de donner une impression d'insouciance et d'immaturité. Elle a les traits et les couleurs de l'espoir, qui porte sur les choses de ce monde, si nous nous servons de la précieuse distinction qu'offre à peu près seule la langue française. L'image pourrait devenir trompeuse. Car l'espérance est aussi une vertu adulte, qui n'a rien à envier à ses aînées. Gabriel Marcel, qui a fait d'elle l'axe de sa philosophie itinérante, n'ignore pas son entrain et son ardeur juvénile, mais il connaît aussi l'autre aspect, l'humilité, la patience, la fidélité, qu'il lit sur le visage des vieilles servantes. C'est vrai qu'elle s'élance joyeusement, lorsqu'elle emprunte la figure de l'espoir, mais cet élan est puissant, insatiable, un batte-ment d'ailes vers l'horizon à perte de vue, comme le décrit Goethe dans le poème orphique, ou gnomique, intitulé EAIIIE, espérance :

Pourtant la porte rebelle de la limite, du mur d'airain
Est déverrouillée, elle ne tient qu'avec l'ancienne durée du roc ! Un être doucement se meurt et se détache. Du plafond de nuages, De la brume et de la bourrasque, elle nous élève avec elle, sur son aile. Vous la connaissez, elle est ivre de tous les lieux :
Un coup d'ailes ! et derrière nous les éons !

L'image des ailes, comme celle, fréquente également, de la flamme traduit le dynamisme « elpidien ». C'est l'espérance qui confère à la foi sa raison d'être et sa vie secrète. [...]