Dieu merci, il y a eu la prison

L'éthique paraît une convention ou une hypocrisie aussi longtemps que la réalité des choses et des esprits nous reste masquée. Quand vient l'épreuve - ici la prison et les camps -, l'éthique devient d'abord le seul moyen de survivre physiquement, puis l'ouverture sur la liberté spirituelle.

Qu'un homme repu et confortablement installé disserte sur le bonheur, la satiété - que nous nommons aujourd’hui la société de consommation - et vante les mérites de la prison ou de la captivité sous toutes ses formes comme ce qui « apprend à vivre », voilà qui semble facile et odieux. Mais lorsque c’est un zek¹ , prisonnier depuis cinq ans déjà et pour longtemps encore, qui déclare que « le bonheur de la satisfaction des désirs, le bonheur de la réussite et de la satiété totale, c’est de la souffrance ! C’est la mort spirituelle, une sorte de douleur morale sans fin² », voilà qui certes surprend et peut difficilement se récuser. Qui peut oser prétendre calmement que « le bonheur ne dépend pas du nombre de bienfaits extérieurs que nous avons arrachés à la vie, mais uniquement de notre attitude envers eux³ », sinon celui qu’on a privé de tout, liberté, famille, dignité, et que néanmoins, par instant; peut faire trembler « la pure joie d’exister⁴ » ? Qu’un tel regard soit porté sur la vie extérieure depuis le fin fond des prisons, comment cela est-il possible ? Les baudruches sont dégonflées, l’ordre apparent renversé. Et surgissent des paroles paradoxales : « Dieu merci, il y a eu la prison⁵ ». [...]

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1. Abréviation de Zakliouchenii. qui signifie détenus en russe.

2. Alexandre Soljénitsyne, Le Premier Cercle. Paris, 1973, Livre de poche, p. 61.

3. Loc. cit., p.60.

4. Loc. cit., p.61.