Ecrire sans péché mortel ? Julien Green

Denis COUTAGNE
La sainteté de l'art - n°44 Novembre - Décembre 1982 - Page n° 67

Attestations

 Denis COUTAGNE

Pour écrire, faut-il sonder le péché ? Et l'écriture même, prométhéenne et futile à la fois, ne constitue-t-elle pas un péché ? Mais la grâce aussi se laisse écrire (et lire) - et d'abord dans la Bible.

 La première page, 67, est jointe.

Le piège diabolique

Les rapports touchants l'art et la foi apparaissent chez Julien Green sous une forme conflictuelle que peu d'écrivains ou d'artistes ont connus avec un tel paroxysme. L'œuvre, dont l'existence dépend de la réponse même que l'écrivain apporte au conflit, se développe autour de ce thème comme autour d'un noyau fondamental. Pour l'écrivain, il en va de son salut ou de sa perte. Le romancier pose le problème en des termes nets et sans équivoque. On pourrait résumer sa position à travers ce syllogisme : les romans sont des péchés et les saints n'écrivent pas de romans. Or, je veux être un saint, donc, je ne dois pas écrire de romans ; dans le cas où j'en écrirais, j'atteste que je ne suis pas un saint. Si nous identifions sainteté à salut, le romancier ne peut être que perdu.

 

  Écoutons Green lui-même (16 février 1945): «Je pose la question sans pouvoir y répondre. L'indifférence religieuse donne au romancier une liberté plus grande. Quel scrupule l'arrêtera lors de la création du monde qu'il fait tenir dans les pages de son livre ?.. Un livre sans péché mortel ? Il faut être Péguy pour le faire et Péguy n'était pas romancier. Le vrai romancier ne domine pas son roman, il devient son roman et s'y plonge. Entre lui et ses personnages, la complicité est plus profonde même qu'il ne le croît et s'ils pèchent, il pèche de quelque manière. Je voudrais savoir si le fait d'écrire un roman est compatible avec l'état de grâce. A cette question je ne puis ni ne veux répondre ». Reste alors au romancier à composer son œuvre de péché. Les réflexions se multiplient dans le Journal ; «La source du roman est impure» (29 mars 1948). «Tirez l'écrivain de son péché et il n'écrit plus. C'est là, j'en conviens, quelque chose d'horrible à formuler. Le péché est-il nécessaire à l'œuvre, qui osera dire cela ? Mais ôtez le péché et vous ôtez l'œuvre». Le dilemme peut se résoudre par la suppression de l'une des références. D'une certaine manière, la première coulée romanesque de Green, (jusqu'à Varouna) se situe en dehors de ce conflit dans la mesure où la référence ecclésiale reste lointaine, quoique ces années voient vécues dans (p.67) «la nostalgie de la grâce» . Mais la tentation de ne plus écrire ne peut être évitée, à partir du moment où la question religieuse redevient explicitement prioritaire, et à partir du moment où la pratique ecclésiale devient effective.

 

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Pour écrire, faut-il sonder le péché ? Et l'écriture même, prométhéenne et futile à la fois, ne constitue-t-elle pas un péché ? Mais la grâce aussi se laisse écrire (et lire) - et d'abord dans la Bible.

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