Court traité d'innocence

M. Jean BASTAIRE
Les communautés dans l'Eglise - n°10 Mars - Avril 1977 - Page n° 93

A l'inverse de ce qu'affirme une pensée réductrice, Dieu n'est pas la projection de nos parents dans le ciel. Ce sont nos parents qui sont des épiphanies de Dieu.

Tout le texte est joint.


Dieu se remet entre les mains de nos parents, de nos amis, de nos amours. A eux d'assurer la victoire.

 Apprendre à déchiffrer les textes que dicte le coeur humain. Ne pas céder aux interprétations d'une raison étroite. Surtout ne pas confondre, dans une existence, ce qui a été pensé et ce qui a été vécu.

 Débroussailler cette forêt de symboles qu'est une vie ignorante de Dieu, mais où Dieu travaille et espère. Comprendre ces cris angoissés, ces appels confiants, ces attentes muettes, ces dégoûts secrets, ces joies enfantines.

 Sainteté des affections humaines. Elles nous conduisent à Dieu. Elles sont la catéchèse de Dieu, le langage par lequel Dieu nous parle, le signe au moyen duquel il nous manifeste sa présence.

 Ce qui trompe, ce n'est pas de raisonner selon la chair, c'est de ne pas pousser le raisonnement assez loin.

 

Toute chair est trempée d'âme, humide de Dieu.

 

O sans visage dont le visage est partout.

 

Non pas refuser les vœux de la chair, qui sont ceux de l'âme. Les puri­fier, les convertir. (p.93)

 Ce qu'envoie la Providence, le prendre comme une hostie. Tout ce qui arrive est sacrement.

Nous ne pouvons appréhender les réalités spirituelles qu'à travers leur incarnation. Ainsi de l'enfance que nous saisissons seulement à travers l'expérience temporelle que nous en avons. Il n'y a rien là d'inquiétant, pourvu que nous sachions distinguer le signe de la substance.

 Dieu nous parle par des êtres, des objets, des lieux. Aussi leur mort nous désespère. Comme si la parole de Dieu pouvait mourir et le sens de l'univers défaillir ! Nous confondons la parole avec son véhicule, le témoignage avec le témoin.

 Rien ne peut nous atteindre autrement que par les créatures. La gloire des créatures est d'être les messagères de Dieu.

 Nous n'avons rien à faire qu'à devenir les uns pour les autres des sacrements de Dieu.

 Nous passons notre vie à changer Dieu de place. Il est d'abord dans nos parents. Puis nous l'incarnons dans une femme ou dans l'art. Vient un moment où Dieu se trouve enfin en Dieu.

 

Nous désirons quelque chose qui soit semblable à nous sans être nous-mêmes. Nous avons faim d'un Dieu charnel qui ne soit pas une idole.

 Aimer Dieu charnellement, afin de l'aimer d'une façon vraiment spiri­tuelle.

 Au lieu de détruire les passions, les transsubstantier.

 « La matière est déjà l'esprit, et la nature, sans le savoir, rêve de la grâce, ne s'épanouit que dans la grâce » (Henri Pourrat, Le blé de Noël, Marseille, éd. du Sagittaire, 1942, p. 131).

Le monde manifeste une joie qui ne lui appartient pas, qui vient d'ail­leurs. Il en est l'expression, non la source. D'où son néant et sa gloire : (p.94) néant puisqu'il n'est rien en soi, gloire puisqu'il est messager du Verbe, incarnation de la parole.

 Connaître le Père sans passer par le Fils, sans passer par la terre, la chair, la création, l'incarnation, là est peut-être l'erreur des méta­physiques orientales de l'Impersonnel. Pour accéder à la transcendance, elles exténuent l'immanence au lieu de l'écouter, elles s'en défient au lieu de lui faire confiance.

 Les promesses de l'enfance humaine et de l'amour humain sont tenues par Dieu. Jésus est le garant de ces effervescences de l'éternel dans le temps.

 Du fait qu'ils ont pris place dans le temps, nos travaux et nos amours sont devenus éternels. Ils appartiennent à notre incarnation. Comme notre corps, ils ressuscitent au dernier jour.

 

Que les joies passées deviennent les signes du royaume à venir.

 Que notre chair ne s'attache pas à la chair de nos souvenirs, mais à leur corps de gloire.

 « Je ne suis pas venu abolir, mais accomplir » (Matthieu 5, 17). Ainsi parle Jésus, et ainsi parle son Père au moyen des événements qui nous (p.95) affligent. Car pour que tout s'accomplisse, à commencer par nos affections, il faut que l'Ancien Testament s'efface devant le Nouveau et que la mort temporelle fraie la voie à la vie éternelle.

 

Notre histoire personnelle est une Histoire Sainte que nous avons à déchiffrer, un Ancien Testament dont le Nouveau nous donne la clé. Lentement et fidèlement, nous devons comprendre ce que Dieu nous disait déjà par signes et que son Fils nous dit maintenant en plénitude.

 

Aucune parcelle de notre passé n'est vide de Dieu. Tous les hommes et toutes les choses que nous avons aimés étaient déjà porteurs de grâce, me s'ils venaient à nous les yeux bandés. Dénouons leur bandeau. Lisons sur leurs lèvres la parole ineffable.

 

Jean BASTAIRE

 

Jean Bastaire, né en 1927. Professeur au Centre National de Télé-Enseignement, spécia­liste d'Alain-Fournier et de Péguy. Secrétaire général de l'Amitié Charles Péguy. Marié. A publié récemment : Péguy tel qu'on l'ignore (Paris, Gallimard, coll. a Idées s, 1973), Claudel et Péguy (en collaboration avec Henri de Lubac, Paris, Aubier, 1974), et Péguy l'insurgé (Paris, Payot, 1975).

 

Extraits du chapitre « Sacrement » du Court traité d'innocence à paraître en 1977dans la collection « Sycomore » chez Lethielleux.

 


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