Le Christ Héritier - Une esquisse africaine de christologie

Pour contribuer au renouvellement méthodologique de la christologie africaine, la présente étude consacrée à la figure du Christ Héritier, s’est faite en dialogue avec un sage de la culture traditionnelle africaine. À partir d’un exercice de lectio divina, elle est allée puiser dans la Sainte Écriture – âme de toute théologie – les lignes d’une christologie inchoative s’élaborant dès le récit de la Genèse et s’accomplissant dans le mystère de la Croix. En accueillant la kénose de son Fils, le Père déclasse toutes les figures culturelles d’ayant-droit, et fait de ce Fils l’unique Héritier en qui tous ont vraiment part à l’héritage préparé de toute éternité par le Père.

Les essais de christologie africaine ont cherché par le passé, dans les cultures locales, des titres à attribuer au Christ¹, titres pour lesquels des fondements scripturaires, patristiques et magistériels sont par la suite trouvés. Au regard de l’importance que revêt la question de l’héritage dans les cultures africaines, présenter le Christ comme Héritier pourrait être une nouvelle illustration de cette approche. Pour légitime qu’elle soit, cette démarche développée dans le cadre de la théologie contextuelle soulève aujourd’hui de plus en plus de critiques². Celles-ci en appellent à une théologie africaine qui aille « au-delà des idéologies³ ». La question qui se pose dès lors est de savoir comment répondre
à un tel réquisit sans partir de ce que Dei Verbum présente comme l’âme de la théologie : la Sainte Écriture (DV 24). Mais avec la recherche de plus en plus spécialisée en exégèse biblique, l’exercice théologique ne se ferme-t-il pas au chrétien de base comme le redoutaient les Pères du concile Vatican II (DV 23-25) ? Même le systématicien peu équipé dans l’analyse philologique mais soucieux de dire Dieu aux hommes et femmes de son temps ne se trouve-t-il pas contraint de substituer, dans son élaboration, les sciences humaines et sociales à la Parole de Dieu ? Si telle est la condition de la théologie aujourd’hui, que devient alors le paradigme apostolique et patristique pour la théologie s’élaborant dans les jeunes Églises qui, pour la plupart, vivent ce que l’on pourrait, par analogie, appeler leur « âge patristique » ?

L’hypothèse que la présente réflexion se propose de vérifier est que seul un acte de théologie qui partirait d’une herméneutique de la Parole de Dieu accueillie et approfondie dans une expérience authentique d’intelligence de la foi au coeur de la culture est susceptible d’échapper à la sociologisation de la théologie sans se perdre dans les méandres de l’analyse philologique. Pour ce faire, elle examinera d’abord la question de la méthode en exégèse biblique, ce qui lui permettra de retenir, dans la variété des méthodes disponibles, celles qui peuvent favoriser le dialogue avec les cultures africaines. Un tel dialogue étant le fait de sujets culturels en quête d’intelligence de la foi, l’approche qui sera ensuite développée consistera à esquisser, sous les traits bibliques du Christ Héritier (Hébreux 1,2), une christologie dialoguée avec un sage de la culture traditionnelle africaine converti au christianisme. La voie heuristique à frayer consisterait en définitive à proposer le chemin inverse des essais habituels d’inculturation : partir de la [...]
 

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1 Voir J. Doré (éd.), Chemins de la christologie africaine, coll. Jésus et Jésus-Christ 25, Paris, Desclée, 1986.

2 Voir A. Nouwavi, La Pâque de l’Afrique. Jalons pour un renouveau théologique, Paris, Ed. du Cerf, 2016.

3 On pourrait se reporter ici à notre article « Au-delà des idéologies, une christologie pour l’Afrique » in NRT, tome 141 n° 1 (janvier-mars 2019), p. 45-65.