L’avant-goût du Ciel, eschatologie et pardon

Soeur Marie-Aimée MANCHON
Vieillir - n°264 Juillet - Aout 2019 - Page n° 107

Comment chaque baptisé peut-il en réalité « goûter le Don du Ciel », dont parle l’Épître aux Hébreux (6, 4), dès ici-bas, dans ce monde tel qu’il est, où prédomine plus souvent l’amertume d’un enfer ? La liturgie qui se décrit elle-même à la croisée du « déjà-là » du Royaume et de son « pas-encore » peut apporter quelques éléments de réponse, en offrant de goûter un Corps donné pour le pardon des péchés. C’est là que se noue le lien entre eschatologie et miséricorde, lien qu’éclaire magnifiquement la Révélation biblique et que des philosophes peuvent nous aider à comprendre.

 

Nous sommes habitués à entendre qu’ici-bas, nous vivons  dans l’entre-deux d’un « déjà-là » et d’un « pas-encore » du Royaume des Cieux1. Le « pas-encore » nous est assez facile à appréhender. « Lui, vous l’aimez sans l’avoir vu » reconnaît Pierre (1Pierre 1, 8), et Paul déclare : « Certes, je ne suis pas encore arrivé, je ne suis pas encore au bout, […] mais je cours vers le but » (Philippiens 3, 12-14). Avec la création tout entière nous attendons « ardemment la révélation des fils de Dieu » (Romains 8, 19), lorsque le « dernier ennemi vaincu, la mort » sera sous les pieds du Seigneur, et qu’il pourra enfin se manifester « tout en tous » (1 Corinthiens 15, 25-28). Pour l’heure, nous vivons avant tout dans les cris, les larmes et le sang. Va pour le « pas-encore », qui se donne dans l’évidence d’une plaie béante. Mais le « déjà- là », qu’est-ce à dire ? Peut-on anticiper le Ciel depuis le monde qui pourtant « gît tout entier au pouvoir du Mauvais » (1 Jean 5, 19) ? Au regard de tous les drames qui nous entourent et dans lesquels nous sommes pris, ne serait-ce pas plutôt l’Enfer, au lieu du Ciel, que nous éprouvons parfois comme « déjà là » ? S’agit-il d’ailleurs du même « là » ? Rien n’est moins sûr. Comment alors sommes-nous en mesure d’éprouver  à l’avance l’eschatologique ? Peut-on faire une pré-expérience de l’au-delà ? Sous la forme de quel avant-goût ? Une lecture attentive des occurrences du verbe « goûter » dans la Bible devrait nous éclairer. 

« Goûter le don du Ciel » (Hébreux 6, 4)

On ne goûte pas beaucoup la nourriture dans la Bible, on goûte plutôt la tranquillité, le repos, la paix, le bonheur2.  Ce verbe n’est donc pas d’abord associé au repas, à l’exception toutefois de trois mets, dont la signification hautement
symbolique importe au plus haut point : le miel, le pain et le vin3. Le miel, en effet, est l’aliment de la Terre  Promise, avec le lait qui y coule à profusion (Nombres 13, 27). Le pain est celui du quotidien et de la providence divine [...] 

 

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1 Cette polarité vient de l’expression « Déjà-Pas-encore », forgée par le théologien luthérien O. Cullmann (1902-1999). Voir par exemple Le Salut dans l’histoire. L’Existence chrétienne selon le Nouveau Testament, Paris/Neuchâtel, Delachaux & Niestlé, 1966. 

2 Certaines traductions introduisent par le verbe goûter les mentions de repos, de bonheur ou de paix, de tranquillité : ainsi la Bible de Jérusalem, édition de 1998, en 2 Maccabées 12, 2 ; 14, 10 ; 14, 25.

3 1 Samuel 14, 29 : « Voyez comme brillent mes yeux pour avoir goûté un peu de ce miel » et 43 : « J’ai goûté un peu de miel » ; 2 Samuel 3, 35 : « Que Dieu me fasse ceci ou encore cela si avant le coucher du soleil, si je goûte du pain » ; Daniel 5, 2 : « Durant la dégustation du vin… ». Dans le Livre de Daniel, il apparaît a contrario comme un goûter perverti : le coeur qui s’est élevé contre la royauté de Dieu est ravalé au rang des animaux en devant « goûter de l’herbe » (Daniel 4,22 ; 4, 29 ; 5, 21), au lieu du miel, du pain ou du vin. Ce verbe hébreu (tha’am) est donc rare et, à notre connaissance, n’est pas présent tel quel dans la Torah (Pentateuque). Cet usage plus tardif est peut- être à déchiffrer à l’instar de l’espérance de la résurrection qui n’apparaît pas d’emblée dans les premiers livres bibliques, mais se fait jour peu à peu. 


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