L'article compare le statut de la peur dans le catastrophisme de Günther Anders, la collapsologie contemporaine et l'eschatologie chrétienne. Face à la catastrophe écologique, l'enjeu est moins de délégitimer la peur apocalyptique que d'en redécouvrir le sens et de la relier à l'espérance messianique.

Renoncer à l’apocalypse ? Catastrophisme, collapsologie et eschatologie

Dans une enquête intitulée « Repenser la catastrophe : l’apocalypse déçoit (de nouveau) », parue en janvier 2023 sur le site Mediapart, le journaliste Joseph Confavreux relève un paradoxe. Une certaine lassitude à l’égard des discours alarmistes se fait jour, alors même que cet alarmisme s’apparente davantage à un réalisme qu’à un « catastrophisme » − au sens où les détracteurs de l’écologie utilisent ce terme − et que son omniprésence est révélatrice d’une volonté politique encore impuissante à prendre véritablement la mesure du désastre écologique qui se déploie sous nos yeux ¹.

Comment interpréter cet état de fait ? N’est-il que la traduction du « déni collectif décomplexé qui caractérise si bien notre époque ² », comme l’affirment deux des collapsologues français les plus connus, ou bien manifeste-t-il plutôt la difficulté voire l’échec à dire la catastrophe écologique et à agir sur elle ? Sommes nous prisonniers de l’impuissance à avoir peur ou bien ne sommes nous pas encore parvenus à vivre la peur de manière à ce qu’elle devienne un point de départ pour la pensée et pour l’action ? Dans la première hypothèse, nous faisons face à une forme d’irrationalité inquiétante, diffuse dans la société et conforme à des intérêts dominants convaincus de pouvoir maintenir leur position avantageuse même en cas d’aggravation de la catastrophe écologique. Dans la seconde, pas exclusive de la première, nous sommes invités à examiner plus en profondeur les causes de notre désinvolture. L’oubli du thème éminemment théologique de la fin des temps – ainsi que la mise de côté de la notion théologique d’apocalypse et du type spécifique de peur qui l’accompagne – ne jouerait-il pas en faveur de l’immobilisme constaté ?

 1 Voir par exemple : Le Monde, Audrey GARRIC, juin 2023, « Nous poussons la planète vers un avenir climatique où seule une partie de sa surface sera habitable ». La biogéographe Debra Roberts et le climatologue Hans-Otto Pörtner, tous deux membres du G.I.E.C. (Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat), préviennent que nous ne sommes pas préparés aux effets du dérèglement climatique qui se profilent.

 2 Pablo SERVIGNE, Raphaël STEVENS, Comment tout peut s’effondrer, Paris, Seuil, 2015, p. 18.

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