À quelles conditions peut-on reconnaître la peur comme salutaire ? Comment comprendre la peur inhérente à la foi, qui implique, comme dit Hans Urs von Balthasar « une tension surhumaine – car il faut à la fois, et simultanément, craindre et espérer, être certain et tout laisser en suspens » ? La peur est l’affect qui nous ouvre à ce qui vient sans que nous puissions le maîtriser, c’est à dire à l’événement en général et en particulier à la venue de Dieu dans nos vies.

 Paul Colrat :     Une peur salutaire

« Que Dieu seul soit votre crainte et votre terreur » (Isaïe 8, 13). « Ce Dieu fait homme s’est si complètement dépouillé lui-même qu’il n’a pas voulu garder seulement l’atome de Divinité qui lui eût été nécessaire pour n’avoir pas peur. Il souffre et tremble dans sa Chair, ainsi que les faibles d’entre les plus faibles ¹ »

Lier la peur au salut évoque inexorablement une ambiance de piété étouffante où le fidèle supprime sa vie d’ici-bas par des actes de détails, en espérant sa rédemption dans l’au-delà, d’ailleurs non sans un certain égoïsme. On ne peut le faire aujourd’hui, alors que ce genre de piété lugubre semble presque disparue, sans éprouver soi-même une certaine crainte. Pourtant saint Augustin nous y invite dans le livre XIV de la Cité de Dieu, dans un cadre bien précis, le refus d’assimiler le corps au mal (livre XIII), ce qui le conduit à montrer que les passions du corps, dont la crainte, sont bonnes.

La crainte est prise en bien dans ces paroles de l’Apôtre : « Opérez votre salut avec crainte et tremblement » ; et : « ne t’enorgueillis pas, mais crains » ; et encore : « Or je crains que, comme le serpent a séduit Ève par sa ruse, vos esprits ne se corrompent et ne s’éloignent de leur chasteté, qui est en Christ » ².

Ces trois citations données par Augustin soulignent trois aspects de la crainte : elle est liée au « tremblement », elle s’oppose à l’orgueil, et elle empêche une trop grande distance avec Dieu. Augustin ajoute que la crainte incline à prendre certaines précautions ³ ou à chercher à se mettre à l’abri d’un mal ⁴, c’est pourquoi ...

Pour lire la suite de cet article, vous pouvez acheter en ligne le numéro ou vous abonner pour recevoir les prochains numéros.