La peur panique, ou angoisse, est au commencement de la pensée plus qu'elle n'en marque l'interruption ; c'est ce que se propose de montrer cet article, à l'aide des réflexions teintées d'anthropogenèse sur lesquelles s'ouvre Arbeit am Mythos, œuvre du philosophe allemand Hans Blumenberg.

La peur est aussi au début du monde

De lourds nuages obstruent le ciel ; il faut faire demi-tour et renoncer à franchir ce col encore enneigé contre lequel le regard butait depuis le matin. Quelques heures plus tard, l’orage s’abat effectivement sur le pauvre randonneur qu’une simple toile de tente ne protège guère ; reste à se rouler en boule en attendant qu’il s’éloigne, et, avec lui, la terreur... Aussi peu chargé soit le randonneur en montagne, aussi rutilant soit son équipement, la peur est une vieille compagne qu’il emmène avec lui, et quelques jours de pérégrination suffisent pour retrouver son portrait qui pouvait se laisser oublier dans la banalité de la vie quotidienne. Comme chaque accessoire dont s’est paré le randonneur, la peur se justifie par sa fonction : elle doit sauver du danger, en incitant à la fuite lorsque le danger est lointain, à la protection lorsqu’il est immédiat et inévitable. Dans les deux cas, la peur appelle au retrait : j’abandonne cette traversée dont j’avais le projet, je me cache à l’abri de la tente ou d’une anfractuosité dont j’espère qu’elle me tiendra couvert face au danger.

La dette que nous nous reconnaissons à l’égard de la peur est donc entachée de mépris. La peur sauve, certes, mais elle n’est pas de ces passions desquelles naissent de beaux fruits. L’action commise par peur a tous les traits du renoncement, et paraît moins faire appel à la pensée qu’à nos instincts ; elle ne vaut pas par elle-même, mais par les actions futures qu’elle rendra possibles en prolongeant la vie. Obéir à la peur, c’est ajourner un instant ce qui fait notre fierté d’humain, pour être mieux en mesure de s’y consacrer derechef une fois le danger passé.

À ce portrait de la peur comme simple perturbation, la pensée de Blumenberg apporte un saisissant contrepoint : pour le philosophe allemand¹, notamment dans son magistral Arbeit

 1 Né à Lübeck en 1920, Hans Blumenberg fut un brillant élève du Katharineum, lycée catholique où étudia aussi Thomas Mann. La guerre interrompit ses études ; sa mère étant juive, il dut sa survie à la protection d’une famille amie. Ses intérêts le portèrent à la fois du côté de l’histoire de la philosophie, en particulier médiévale, et de la phénoménologie qu’il étudia à Hambourg aux côtés de Ludwig.

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