Le Père Chaillet , une théologie dans l'histoire

La pensée et l’engagement du P. Chaillet sont unis par une vision de l’Église inspirée de l’école de Tübingen et de Charles Möhler (1796-1838). Le lien entre la foi, la pensée et l’action montre que c’est toujours en tant que chrétien que le P. Chaillet intervient, avant-guerre puis durant la guerre, au nom d’une conception de l’Église qui le conduit à prendre la parole face à une hiérarchie largement défaillante, sur fond d’une tension eschatologique croissante.

Le Père Chaillet, une théologie dans l’histoire

Dans son irremplaçable biographie du P. Chaillet ¹, Renée Bédarida fait part d’un double étonnement à propos des dernières années du jésuite. D’une part, que son départ sacrificiel de Témoignage Chrétien en 1958 puis de Paris en 1962 ne lui ait pas permis d’achever ses travaux théologiques ; d’autre part que le P. Chaillet soit resté silencieux sur le concile Vatican II. C’est en effet une énigme et un regret que le P. Chaillet, grand théologien, ait limité à ce point sa production. Il aurait dû être une sommité dans l’ecclésiologie française aux côtés de ses amis Congar, Chenu ou Lubac mais l’image du résistant a occulté celle du théologien : ce sont bien les deux faces d’une même pièce qu’il faut ici réunir.

C’est le théologien, méconnu, que le présent texte veut mettre en lumière, en mettant en avant les années 1935 à 1942, au moment où le P. Chaillet est un théologien actif qui diffuse sa pensée dans ses cours, des livres et des articles. N’oublions pas qu’il renonce à devenir prêtre diocésain et entre chez les jésuites par crainte qu’une paroisse rurale soit un tombeau intellectuel. Les archives jésuites de Vanves ont été mises à contribution, avec des textes inédits.

Il ne s’agit pas d’éclairer artificiellement une facette, celle du théologien, qui serait distincte du résistant. Bien au contraire, il existe une unité profonde entre la pensée et l’engagement du P. Chaillet, une vision de l’Église dans l’histoire à laquelle correspond le témoignage du chrétien dans le monde. Sa capacité à agir – son courage – a comme squelette une vision claire et solide de l’histoire, et avant tout celle de l’Église puisque le pas qu’il franchit est bien celui-ci : défier la structure hiérarchique de l’Église non pas contre ce qu’elle est mais au nom de ce qu’elle doit être, et même plus essentiellement encore de ce qu’elle ne cesse jamais d’être sur un plan spirituel.

Ce lien entre la foi, la pensée et l’action conduit à examiner deux éléments essentiels. D’abord montrer à quel point c’est toujours en tant que chrétien que le P. Chaillet intervient avant-guerre puis durant la guerre. Enfin que cette intervention se fait au nom d’une conception de l’Église, celle-là même qui le conduit à prendre la parole face à une hiérarchie largement défaillante, pour être un témoin dans l’histoire, sur fond d’une tension eschatologique croissante...

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1 Renée BÉDARIDA, Pierre Chaillet, témoin de la résistance spirituelle, Paris, Fayard, 1988, 330