Pierre Chaillet et Gaston Fessard - L'histoire et les idoles

Toute analyse de l’histoire qui ne l’envisage pas comme une histoire sainte n’aboutit qu’à des équivoques déguisées en idoles. Après la défaite de juin 1940, l’équivoque se nommait la « collaboration » et l’idole, l’idéologie antichré- tienne du racisme nazi. Pierre Chaillet et Gaston Fessard ont dénoncé la fraude qui pose que la raison du politique ressortit du domaine exclusif du pouvoir politique, sans nulle autre autorité. Ils ont mesuré quel degré d’obéissance était dû au gouvernement de Vichy en montrant que la réponse à la question politique provient d’un regard théologique.

Pierre Chaillet et Gaston Fessard  L’histoire et les idoles

« Il est non seulement immoral et antichrétien mais encore antipolitique d’expulser la morale de la politique ¹ ».

« Ces croyances ne semblent pas avoir d’autre cause que la prétendue sagesse et prudence de ces hommes dont l’occupation était de tromper le peuple en matière de religion ² ».

                     I.

Agir du seul fait de penser juste, modifier le cours des événements du seul fait de les analyser correctement, cela résume l’ambition de tout témoin engagé de l’histoire. Cette ambition, le plus souvent déçue, Pierre Chaillet avec l’entreprise collective des Cahiers du Témoignage chrétien ³, l’a pourtant réalisée. Il y parvint parce que, au contraire de tant d’autres de ses contemporains (et on ne peut pas ne pas songer à Sartre, le paradigme de la non-lucidité volontaire et du non-engagement déclaré), il a su s’arracher à l’ambiguïté ; et il ne l’a pu que parce qu’il parvint d’abord à voir l’événement dans sa profondeur, laquelle ne s’ouvre qu’au regard d’un esprit illuminé par l’Esprit. En effet, pour comprendre qu’« ... une mer de mensonges ne fait pas une goutte de vérité ⁴ », il faut prendre sur les événements de l’histoire immédiate le regard de ce que G. Fessard− le théoricien sur lequel P. Chaillet sut régler son action − identifiait comme « l’histoire sainte » :

« Aussi de ces moments divers et de ces actes essentiels, l’Église, dépositaire des secrets de l’Auteur divin, a-t-elle composé un livret qu’elle nous offre en réponse à toutes nos questions sur le sens des drames partiels qui composent notre histoire humaine. Et ce livret, elle l’appelle ...

Pour lire la suite de cet article, vous pouvez acheter en ligne le numéro ou vous abonner pour recevoir les prochains numéros.

1 La résistance spirituelle française, 1941-1944, Les cahiers clandestins du Témoignage chrétien, textes présentés par François et Renée Bédarida, Albin Michel, Paris, 2001.

2 Saint Augustin, La Cité de Dieu, IV, 32.

3 Nous citons la réédition intégrale en fac-similé des Cahiers et courriers clandestins du Témoignage chrétien 1941-1944 par R. Bédarida, Paris, 1980 (2 tomes, cités TC I & II), dont on consultera l’étude historique, F. et P. BÉDARIDA, La résistance spirituelle 1941- 1944. Les Cahiers clandestins du Témoignage chrétien, Albin Michel, Paris, 2001. La dimension théologique de toute l’entreprise, en particulier le rôle des jésuites de Lyon (P. Chaillet, G. Fessard, Y. de Montcheuil et H. de Lubac) apparaît clairement dans H. de LUBAC, Résistance chrétienne à l’antisémitisme. Souvenirs 1941-1944, Fayard, Paris, 1988.

4 TC 1, op. cit., p. 152.