La demeure de la fidélité

Hans Urs VON BALTHASAR
La fidélité - n°4 Mars - Avril 1976 - Page n° 2

Problématique

La fidélité n'habite que l'homme, et là  où la liberté d'un don total de soi le rend humain. Le divin qui y transparaît est le Dieu fidèle qui, se faisant homme, nous rend capables de Lui.
_ La première page, 2, est jointe.

1. Localisation

La demeure de la fidélité reste dans l'histoire humaine étrangement cachée. Quand les peuples sont en leurs premiers temps, elle est bien au centre des qualités qu'on attend de l'homme de bien. Certes, la trahison toujours aux aguets la menace, mais rien ne vient lui disputer sa place. Avec la fin des temps primitifs et le début des grandes civilisations, d'autres vertus se poussent au premier plan, et la fidélité n'est plus au nombre des quatre vertus cardinales. Non qu'on cesse de l'estimer. Mais elle se transforme en froides considérations — il faut respecter ses engagements — dans le domaine social, et dans le domaine privé, en une spécialité qu'on admire chez certains individus. Elle n'a jamais rencontré de crise plus grave qu'aujourd'hui.

 

La fidélité humaine se fonde sur un rapport entre les personnes, rapport naturel et fondé dans les mœurs. Le rapport entre le naturel (« il en a toujours été ainsi, et l'expérience prouve que c'est la meilleure manière de faire »), et le moral qui engage ma responsabilité (« tu dois maintenant choisir de rester fidèle, contre ton propre avantage ») reste flottant ; on n'y réfléchit pas. Ce n'est pourtant que là où je puis me fier que devient possible entre les hommes une existence dans la réciprocité : dialogue, contrat, accord, commerce, toute entreprise commune à deux ou plusieurs partenaires. Il faut que chaque partie fasse une avance pour que les chemins d'une personne à une autre deviennent praticables.

 

Que se passe-t-il quand le rapport fondamental (naturel et moral) du Je et du Tu est remplacé par une règle fixe — l'idéologie —, qui ne fait pas d'avance, mais est toujours faite par avance, qui dépasse les personnes qu'elle englobe, et qui, par une prétention absolue à l'exactitude, justifie tout moyen y compris le mensonge et la trahison ? On peut s'attendre à ce que de tels moyens soient appliqués là où le tissu social se détache du domaine des avances que se consentent les personnes. Un Soljénitsyne peut alors lancer ses appels de Cassandre : « Ne vous fiez pas à eux, il n'y a rien en eux à quoi se fier ! ». Leurs plans se déroulent à un niveau où vous n'êtes rien de plus que des pièces d'échecs qu'ils manipulent. Et l'autre moitié du monde ? Elle est tendue entre deux positions : d'une part, elle essaie d'amener le bloc idéologique à une attitude humaine de confiance (la « détente ») et en retire constamment les plus amères désillusions. De l'autre côté, elle est marquée comme le monde entier par les dures lois de la technologie, de la haute finance et de l'effort militaire contre l'autre bloc qui s'arme ; et ces lois, malgré les espaces de liberté qui subsistent encore, menacent de créer un réseau qui déterminerait notre comportement d'une manière tout aussi impersonnelle.

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Hans Urs von BALTHASAR 


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