Une expérience italienne : « Cornunione e Liberazione »

Luigi GIUSSANI
Les chrétiens et le politique - n°6 Juillet - Aout 1976 - Page n° 70

Le fondateur de Comunione e Liberazione donne ici la première présentation en français d'un mouvement chrétien qui renouvelle, d'une manière très contestée, mais certainement originale, la participation de catholiques à la vie politique et culturelle italienne.

Comunione e Liberazione a vingt ans. On a peu parlé à l'étranger de ce mouvement né parmi les étudiants dans les années 1950, sur l'initiative d'un prêtre milanais, don Luigi Giussani. Le Mou­vement a connu une crise interne en 1965-1966, qui s'est aggravée sous le coup des événements de 1968: il en est sorti fort d'environ soixante mille adhérents, comme l'expérience chrétienne de base la plus importante et la plus dynamique de l'Italie d'après-guerre. L'opinion internationale s'est intéressée au Mouvement, ces derniers mois, à cause de sa décision de militer, à l'intérieur de la Démocratie Chrétienne, pour y transformer la présence des catholiques et redonner au «Parti» son âme populaire lentement perdue en trente ans de pouvoir. La jeunesse du mou­vement, son dynamisme, le talent de ses orateurs ont pu faire oublier, au milieu des accusations croisées d'« intégrisme» théologique et de «gauchisme » politique, le principe directeur de C Er L: l'expérience chrétienne est un fait historique qui possède, en tant que tel, une fonction politique, sociale, culturelle. Aux accusations d'« intégralisme» (1), C Et L répond en soulignant la dichotomie (le «dualisme ») de ceux qui sont chrétiens «à l'église» et païens ou athées dans leur milieu de travail, dans leur école, dans leur quartier. Fortement représenté à Milan, dans sa région et en Romagne (Rimini), C fJ L s'étend à toute l'Italie, surtout dans les milieux scolaires et uni­versitaires où il a pris naissance; il offre aux observateurs un exemple saisissant de vie de foi communautaire et ecclésiale, profondément insérée dans les réalités quotidiennes.

 

On peut remonter en 1954 pour les débuts du mouvement chrétien qui s'appelle aujourd'hui « Comunione .e Liberazione », lorsque vous avez quitté les fonctions de professeur au Grand Séminaire de Milan pour y devenir aumônier de lycée. Qu'est-ce qui vous a poussé à abandonner un chemin d'études et d'enseignement ecclésiastiques pour vous intéresser aux problèmes de la jeunesse, à Milan puis dans toute l'Italie ?

Don Giussani : Tout a commencé par un petit épisode, destiné à changer toute ma vie : me rendant sur l'Adriatique pour des vacances, par le train, je me suis mis à parler avec des lycéens et les ai trouvés terriblement ignorants des réalités de l'Eglise ; je fus conduit à attribuer à cette ignorance leur éloignement de la foi et je décidai alors de m'attacher à reconstruire dans le monde scolaire et uni­versitaire une présence chrétienne. J'ai demandé et obtenu de mes supérieurs mon changement de poste et suis ainsi devenu aumônier du lycée G. Berchet. Dès les premiers jours de mon travail, je me rendis compte de la justesse de l'intuition initiale : j'arrêtais dans la cour les garçons qui portaient à la boutonnière l'insigne de l'Action Catholique ou des Scouts, et je leur demandais : s Crois-tu vraiment en Jésus-Christ ? ». Ils me regardaient, surpris par cette question inso­lite, et je me souviens bien qu'aucun ne m'a répondu Oui ! » avec cette sponta­néité vive et franche qui provient d'un enracinement de la foi en profondeur. Je posais aussi, à tous, une autre question : s Selon toi, le christianisme et l'Eglise sont-ils présents dans l'école, ont-ils quelque impact sur la vie scolaire ? » J'obtins le plus souvent comme réponse de l'étonnement ou un sourire. Ceci se passait vers le début des années cinquante, lorsqu'on disait encore que l'Eglise occupait une position solide dans la société italienne ; c'était vrai, à la manière du déclin d'un passé non encore révolu, mais déjà attaqué par des creusets d'hommes nouveaux et de nouvelles sociétés que sont l'école et l'université. Il m'a paru alors évident qu'une tradition (ou, en général, toute expérience humaine) ne pouvait pas défier l'histoire, sinon dans la mesure où elle réussissait à s'exprimer et à se communiquer selon des modalités dotées d'un statut culturel.

L'Eglise était encore solide et forte de son passé, mais cette solidité reposait sur deux facteurs : d'abord la participation de masse au culte catholique, due sou­vent à la force d'inertie ; et d'autre part, paradoxalement, un pouvoir politique extrêmement mal utilisé du point de vue ecclésial. L'Église, comme les partis, ne se rendait évidemment pas compte de l'importance de la créativité culturelle et, par conséquent, se désintéressait des problèmes éducatifs : tout se ramenait à l'augmentation du nombre des inscriptions dans les organisations catholiques officielles. Le contenu de vie de ces organisations se réduisait ensuite (à part quelques moments d'enthousiasme) à un pur et simple moralisme : toute la complexité vivante de l'expérience chrétienne se ramenait à l'observance de quelques commandements (en fait, même pas du Décalogue en entier !)

La seule manifestation culturelle était un enthousiasme sollicité, provoqué et entretenu par les cérémonies, moments forts d'une manifestation de masse dans la vie de l'Eglise. Et de fait, les manifestations de masse sont un geste culturel élémentaire, à la portée du plus humble des chrétiens : j'en ai eu pour preuve qu'à peine la manifestation de masse a-t-elle été dépréciée dans l'Eglise (à partir de positions intellectualistes), elle a été reprise ailleurs avec une force renouvelée, au point de devenir le geste culturel et l'instrument politique le plus utilisé durant la crise de 1968. On peut dire des manifestations de masse catholiques des années cinquante ce que l'on peut dire de celles de 1968 (et surtout de celles des années suivantes) : on avait oublié pourquoi on les faisait. Elles risquaient donc de devenir des gestes superficiels, dépourvus de valeur éducative. Ils n'étaient pas [...]

 

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​​​​1. On rend ici par «intégralisme» l'italien integrismo, que trahirait le français «intégrisme ». Alors que la notion d'« intégrisme» renvoie à une revendication indistincte de tout le passé, l'« intégralisme» est une application du christianisme à la totalité des activités et relations humaines. Certains milieux espagnols opposent integrismo (fermé) à integraiismo (fidélité ouverte). La partie «intégration» de l'édition francophone de Communia repose sur un certain « intégralisme» (NdIR).


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