La confusion du politique et du religieux

Monsieur Jean DUCHESNE
Le pluralisme - n°46 Mars - Avril 1983 - Page n° 46

Intégration

En voulant libérer l'église, les Réformateurs ont, bien malgré eux, engendré l'idéologie pluraliste, non moins fatale au christianisme que la confusion du politique et du religieux. Car, dès l'origine, pluralisme n'est pas tolérance. Seule rend libre la Vérité révélée et transmise.

 Les deux premières pages, 46-47, sont jointes.

'PLURALISME» est un mot de fabrication relativement récente. Le dictionnaire Robert en situe l'apparition à 1909, dans le domaine « philosophique. Le terme bénéficie cependant aujourd'hui d'une réputation flatteuse, et plus affective que descriptive ou scientifique, à un niveau politico-religieux [[L'américain William James fut décidément un novateur. Il avait déjà (en 1902) inventé la notion d'«expérience religieuse» (cf. l'article de Jean-Robert Armogathe, Communio, l, 8, p. 34), en insistant sur sa diversité. Cette dernière, conçue comme vérité ultime de tout ce qui existe, fait en 1909 l'objet de A pluralistic Universe. Mais Le pluralisme est aussi le titre d'un ouvrage de Boex-Borel, publié en France (également en 1909!) et concernant la recherche scientifique, laquelle découvre davantage d'hétérogénéité que de continuité ou d'unité dans ses investigations. On pourrait encore relever le terme (en allemand) chez Lotze dans sa Metaphysik dès 1841 et, plus généralement, en reconnaître la substance chez Herbart, Schiller, Renouvier, Nietzsche, Husserl... et dans les philosophies qui soulignent la liberté de l'individu et/ou rejettent toute construction systématique à portée universelle. ]]. Il tend en effet à désigner (et approuver hautement) tout ce qui combat le mal (ou le péché, pour autant qu'il existe encore) de l'intolérance dans la société civile comme dans les Eglises. Dans un monde reconnu « en mutation» depuis les années soixante et maintenant en proie à une « crise» où, plus encore que les courbes de croissance économique, s'effondrent les certitudes, qui ne se voudrait pluraliste et comment pourrait-on ne pas l'être? (p.46)

 

La bonne fortune du pluralisme ne s'explique pourtant pas uniquement par la conjoncture actuelle, à laquelle il peut apparaître d'abord comme une forme empirique et « réaliste» d'adaptation. Car le pluralisme ne consiste pas seulement à prendre acte de la pluralité de fait des individus, des situations, des opinions et des systèmes. Il revient plutôt, au contraire, à justifier en droit cette diversité, et même à l'ériger en principe rédempteur par-delà les circonstances présentes: hors du pluralisme point de salut, ni pour le monde ni pour la foi.

 

Les véritables fondements du pluralisme ne sont alors pas à rechercher dans une histoire toute fraîche et encore inachevée, ni dans un tournant ou un tourment de la métaphysique vers 1900 (lorsque vole finalement en éclats le concept d'une vérité unique, universelle et absolue), mais bien en-deçà. S'il s'agit effectivement d'une attitude à la fois politique et religieuse ou philosophique, donc (si l'on veut appeler la chose par son nom, et sans qu'il y ait rien là de péjoratif) une idéologie, sa généalogie remonte plus vraisemblablement à l'époque où justement les relations entre les deux domaines se sont le plus tendues, engendrant de part et d'autre les réformes et les révolutions dont nous sommes le plus souvent à notre insu, les héritiers [[Il faudra bien admettre que nous devons autant à la Révolution anglaise de 1688 qu'à celle de Russie en 1917 ou qu'à celle de 1789. Rosa Luxembourg ne s'y était pas trompée: «Les bolchéviques sont les héritiers historiques des niveleurs anglais et des jacobins français» (La révolution russe, écrit en prison vers 1918). Sous-estimer de plus la révolution américaine de 1776, où s'opère la synthèse entre le puritanisme et la philosophie des « lumières», condamne à ne rien comprendre au « nouveau monde» dont nous dépendons tant désormais. ]].

 

En restant conscient du risque de caricature inhérent à toute rétrospective, sans doute faut-il alors remonter jusqu'aux XVIe et XVIIe siècles, plus spécialement en Angleterre et, à partir de 1620, dans ses colonies d'Amérique. Car c'est là qu'en quelque cent cinquante ans [[La période peut aller de 1533 (rupture d'Henri VlII) avec Rome, pour des motifs essentiellement politiques et personnels, et non pas religieux), à 1689 (Acte de tolérance promulgué par Guillaume ID d'Orange, renonçant à toute réunification religieuse et parallèle à l'instauration, par la Déclaration des droits, d'un gouvernement parlementaire). 1620 est la date de l'arrivée au Massachusets des « Pélerins» du Mayflower. Dans l'histoire de la pensée politique, il s'agit de mesurer le chemin parcouru depuis saint Thomas More, defensor fidei (cf. l'article de Germain Marc'hadour, Communio, IV, 2, p. 81) jusqu'à Thomas Hobbes, qui se place délibérément en dehors de toute perspective théologique et de toute idée de finalité, et John Locke, dont la Lettre sur la tolérance (1689) et le Traité sur le gouvernement civil (1690) jettent les bases du libéralisme politico-religieux. ]], non sans des affrontements sanglants et des retournements imprévus, s'est progressivement formé un idéal tout nouveau de tolérance, à la fois dans les affaires religieuses et dans la sphère du politique. La démocratie moderne a pris là son essor, en même temps que se légitimaient non seulement la pluralité des Églises, confessions et dénominations chrétiennes, mais encore la diversité, voire l'hétérogénéité des croyances et des pratiques au sein de chacune d'elles. (p.47)

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Généalogie du pluralisme dans les conséquences politiques de la Réforme

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Jean DUCHESNE

 


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