L'amour est-il Dieu ?

En montrant que toute la vie chrétienne se résume dans l'amour, Augustin nous conduit du désir au don, par une conversion de l'amour en charité. Mais l'équivalence peut se renverser : on risque de faire de l'amour une idole. C'est cette pente de l'histoire humaine qu'il faut inverser, par une conversion du coeur et une nouvelle rigueur conceptuelle.

Convertir notre civilisation à l'amour, rien n'est plus urgent, chacun en conviendra depuis Tolstoï . Mais l'amour est  un terme équivoque, qui recouvre plusieurs réalités distinctes : le sentiment de respect, de tendresse et d'affection entre proches, entre enfants et parents (l'attachement), le sentiment désintéressé, qui unit des égaux ou des proches d'un intérêt commun (amitié), le désir sexuel, à la recherche de son assouvissement ; enfin l'amour de Dieu (charité). Dans ces ambiguïtés réside peut-être ce qui fait obstacle à notre conversion à la charité. 

La difficulté vient de ce que notre civilisation est justement déjà une civilisation centrée sur l'amour, mais sous diverses formes concurrentes : cellules de l'attachement familial, cercles plus ou moins élargis de l'amitié, érotisme, caritatif, piété même, se disputent pêle-mêle nos suffrages. Il ne se passe pas de jour sans qu'une vedette de la chanson ou du cinéma nous appelle à davantage d'amour. Pourtant, ce qui nous manque n'est pas l'amour, mais l'unité entre ces sens disloqués de l'amour, un centre qui les transcende et les transfigure. La confusion, si répandue, et entretenue d'une manière intéressée, entre amour et charité, est peut-être justement ce qui nous empêche d'atteindre l'essentiel. Pourtant cette identification a reçu ses lettres de noblesse chez Augustin. Il faut donc en retracer la genèse avant d'en signaler les difficultés. [...]

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