Fragments sur la Croix trinitaire

Hans Urs VON BALTHASAR
Guérir et sauver - n°11 Mai - Juin 1977 - Page n° 24

La Croix ne constitue pas une malheureuse péripétie dans un projet plus optimiste. Elle reproduit, sur le mode de notre finitude et du mal qui l'étouffe, le don éternel du Fils au Père pour le salut du monde.

La première page, 24, est jointe.

SEUL celui qui prend le monde tel qu'il est a une chance d'en penser et d'en dire quelque chose de valable, même s'il commence par affirmer qu'il faut le changer, parce que, tel quel, il est insupportable. Spéculer sur d'autres mondes possibles (meilleurs ou pires) ne mène à rien. Or, que voyons-nous ? L'humanité se reproduit et abandonne derrière elle ses morts, et, à travers les millénaires, lutte contre les puissances de l'univers ; des puissances dont les unes doivent être dominées pour que l'homme puisse vivre, et dont les autres ne peuvent l'être (ainsi, pour les hommes préhistoriques l'avancée de la glaciation ou, pour' nous, les tremblements de terre). La fourmilière piétinée se reconstruit.

« EN AVANT, ET SUS A L'ENNEMI !»

L'ennemi n'est pas qu'au dehors, il est aussi dans l'homme. Son esprit et son organisme ne prospèrent que dans une zone tempérée, intermédiaire entre des extrêmes qui le détruisent : le manque de plaisir et de joie, mais aussi leur excès, tournent à la souffrance. L'espèce ne peut, dans le meilleur des cas, se soucier que de façon marginale de la souffrance des malades ou des mourants, car elle veille d'abord à sa propre survie. Une règle lourde de conséquences veut que tout rameau qui atteint son parfait épanouissement sur l'arbre de l'humanité et qui y parvient par une extrême spécialisation, menace de se placer en déséquilibre, s'avère « décadent » par rapport au tout, au normal, et finit dans un cul-de-sac biologique, quand il n'est pas éliminé par de plus forts. Sur la base de ce mécanisme, combattre pour l'humanité semble plus important que d'atteindre un état où les conflits n'existent pas. (p.24)

Quand Johannes von Tepl se plaint de tout ce qu'il y a de repoussant, d'atroce et d'injuste dans la mort, qui lui a volé sa femme bien-aimée.. il s'attire cette réponse méprisante : « Si, depuis le temps où le premier homme fut formé du limon, nous n'avions déraciné la croissance et la multiplication sur la terre des hommes, des loups et des vers, personne ne pourrait survivre à cause des moucherons, personne n'oserait sortir de crainte des loups, les hommes se mangeraient entre eux faute de nourriture, la terre leur serait trop étroite. Bien fol est, qui pleure la mort des êtres mortels » (1).

L'humanité semble avoir besoin, à son horizon, d'une menace totale, pour pouvoir rester fraîche pour le combat : quand la puissance magique de la nature ne menace plus l'homme préhistorique, et la jalousie des dieux, celui des civilisations anciennes, l'homme d'aujourd'hui se fabrique la bombe atomique, pour pouvoir vivre sous l'angoisse de la mort. Qui veut la génération, veut aussi la mort et tout ce qui l'accompagne. Qohélet le savait déjà : « Il y a un temps pour engendrer des enfants, et un temps pour mourir » (Qohélet 3, 2).

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