Pierre EYT
Guérir et sauver
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n°11
Mai - Juin
1977 - Page n° 43
La maladie, comme la santé, outrepasse les déterminations et les mécanismes que la technique médicale et pharmaceutique en peut repérer. Elles révèlent un champ symbolique où la dogmatique chrétienne retrouve sa pertinence.
Les deux premières pages, 43 et 44, sont jointes.
LA contestation des valeurs traditionnelles semble épargner l'une d'entre elles : la santé. Mieux même, la santé paraît d'autant mieux se porter que déclinent autour d'elle les autres valeurs auxquelles les hommes l'associaient jusqu'ici. Jamais en effet la santé n'a bénéficié d'un prix aussi incontesté. Jamais les techniques médicales et chirurgicales n'ont paru aussi fiables. Jamais non plus les professions de la santé n'ont brillé aussi haut dans le ciel de la considération sociale. Notre époque vit, à n'en, pas douter, le triomphe de la médecine », prenant appui sur les performances techniques réalisées quotidiennement et chaque jour améliorées.
Pourtant, du moins dans certains milieux, le soupçon s'exerce déjà avec virulence et tente de démasquer ce « triomphalisme » médical. Venue de la critique politique, une première vague de suspicion s'attaque aux régimes de la santé qu'elle analyse en termes sociaux et économiques. Visant à la « réparation des forces physiques de travail » des classes dominées, le système médical porte la marque du régime général d'une société. Et tout naturellement, la conquête d'une meilleure santé personnelle et collective apparaît comme l'un des objectifs majeurs du changement social. Les dépenses de santé ne cessent d'augmenter et de prendre une proportion croissante dans les budgets sociaux. L'importance des coûts comme la valorisation psychologique de tout ce qui touche à la santé font aujourd'hui du secteur médical l'un des domaines en voie de politisation rapide : « Hôpitaux publics et cliniques privées, médecins salariés ou libéraux, type de formation des personnels médicaux et para-médicaux, dispensaires ou cabinets de groupe, pharmacies mutualistes ou libérales, médicaments dont la production et la distribution obéissent aux lois du marché des biens de consommation, caisses mutuelles et assurances privées », etc. [[Le Monde. Dossiers et documents, n° 36, p. 1.]]. A la suite de cette simple énumération indicative, comment pourrait-on contester que la santé relève (p.43) d'une industrie et d'une politique ? Comme on le sait, la multiplication d'enquêtes, de sondages, d'émissions, de manifestes ou d'analyses a largement sensibilisé l'opinion aux aspects politiques de la santé. Nous ne pouvons ici que renvoyer à de telles études. Tout en tenant compte des résultats obtenus, notre propos veut engager la réflexion dans une direction différente, quoique complémentaire.
LA SANTÉ, AU-DESSUS DE TOUT
Nous sommes partis d'une constatation : l'ascendant exercé par la santé éclipse aux yeux de nos contemporains toutes les autres valeurs ainsi que les obligations qui s'y rattachent. La recherche de ce bien, les attentes auxquelles il répond, les exigences financières qu'il impose aux individus et aux sociétés finissent même par surclasser toute autre contrainte morale ou sociale. C'est donc au niveau des attitudes et des conduites psychologiques, à la fois individuelles et sociales, que la valorisation de la santé trouve son point de départ.
Observons dans cette perspective un certain nombre de phénomènes : la demande de santé s'exprime désormais comme un droit indiscutable, prioritaire et absolu. D'autre part, la représentation que l'on se fait de la santé déborde infiniment le médical, le sanitaire ou même le social, pour rejoindre, à travers la relation avec autrui et soi-même, le désir, le bonheur, le plaisir, l'harmonie. La définition de la santé a essayé de suivre ce changement socio-culturel. Alors que la « santé » ne paraissait hier s'appliquer qu'au bon fonctionnement du corps (le fameux « silence des organes »), la définition que nous en offre aujourd'hui l'O.M.S. (Organisation mondiale de la santé) déborde très largement cette représentation, puisque la santé est « l'état de complet bien-être physique, psychique et social », et non point seulement l'absence de maladie ou d'infirmité. Il s'ensuit que désormais les préoccupations sanitaires doivent recouvrir une multitude infinie de phénomènes ainsi que leurs plus lointains conditionnements. Un médecin s'est essayé à en dresser une liste qui est loin d'être limitative : « Difficultés scolaires, inadaptation sociale, délinquance, contraception, allègement des troubles de la ménopause, interruption de grossesse, chirurgie réparatrice des formes et des fonctions, rééducation physique ou psychique, diététique, lutte contre la pollution, conseil conjugal ou génétique, orientation professionnelle, hygiène de vie, urbanisme, éducation sanitaire et prévention... » [[Ibid.]].
On le voit, la nouvelle conception de la santé entraîne une extension et un approfondissement indéfinis de la demande. Celle-ci tend à rejoindre, au bout du compte, une existence et des relations qui seraient créditées d'une plénitude totale et d'un bonheur infini. Par la tendance à médicaliser tout malaise, tout « mal-être », la mauvaise santé s'étend à toute forme de trouble relationnel et à toutes les manifestations de la pathologie de la communication. A l'inverse, la santé devient une réalité assimilée à la réussite de la vie personnelle et relationnelle, à la recherche réussie du bonheur. C'est pourquoi la demande de santé ne peut connaître de limites. Elle se présente en termes dynamiques, totalisants et infinis. (p.44)
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