La Révolution française vue d'Allemagne

C'est surtout en Allemagne que la Révolution française a été un événement européen. Dans une nation morcelée, la population est restée sage et patiente ; le jacobinisme des intellectuels, après une flambée, a fait long feu. La Terreur a provoqué une frayeur empreinte de stupeur. La Révolution était un phénomène trop ambigu pour ne pas déconcerter le jugement.

C'est surtout en Allemagne que la Révolution française a été un événement européen. Si la prise de la Bastille n'a pas retardé la sacro-sainte promenade hygiénique de Kant, comme le fit une fois, selon l'anecdote, la lecture de l'Émile, du moins le philosophe de la « révolution intellectuelle» s'entretenait-il assidûment avec ses convives des dernières nouvelles politiques, et Kesnigsberg, comme toutes les villes allemandes, était à l'heure de Paris. L'Allemagne — ou plutôt les Allemagnes — divisée en duchés et principautés, soumise à l'arbitraire et à la censure, offrait un climat favorable à la contagion et, tandis que les cours observaient un silence gêné, les écrivains et les poètes se faisaient propagandistes enthousiastes. La Révolution se respirait dans l'air du temps. Quelqu'un avait d'ailleurs plus que tout autre préparé les esprits à la symphonie de la liberté. C'était Schiller, alors dans l'éclat de la jeunesse auréolée de persécution. Le drame des Brigands frémit du souffle de l'anarchie, mais Don Carlos, en juin 1787, par la voix du Marquis Posa, retentit de l'appel de la liberté, lancé dans le champ fertile du temps (« Je vis contemporain des hommes à venir»). Posa adjure le roi Philippe II :

« Vous voulez planter pour l'éternité

Et vous semez la mort ? (..)

Un trait de plume de cette main, et à nouveau

La terre est créée. Accordez

La liberté d'opinion» [[Acte III, scène 10.]].