M. Claude BRUAIRE
La sainteté de l'art
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n°44
Novembre - Décembre
1982 - Page n° 2
Le texte complet est joint.
L’ART n'est-il pas de l'homme, fruit de sa liberté inventive, tandis que la sainteté est de Dieu, et le sacré appartenance au divin ? Il le semble bien. Mais alors le sacré ne serait pas « l'autre » de l'art, et plutôt le « tout-autre ». Ainsi est mis en question, d'entrée de jeu, l'« art sacré » comme problème initial de cette recherche de Communio. Que veut-on désigner ainsi ? Des œuvres d'art « consacrées » au divin ? Mais « consacrer » veut-il dire ici attribuer, concéder en partie, appliquer l'art au religieux ? Ployable en tout sens, à tout thème, à toute fin [[Que l'art ne soit ployable à toute fin qu'au prix de la destruction de l'homme, l'échec et la médiocrité des productions officielles et seules autorisées dans les régimes totalitaires en est la vérification.]], l'art pourrait de la sorte, éventuellement, servir l'expression religieuse, culturelle, liturgique. Dès lors, l'art serait une technique, un ensemble de moyens acquis pour une fin utile. Art et technique ne sont-ils pas un seul et même mot dans le grec de nos philosophes ? Nul besoin, par conséquent, d'être croyant pour faire œuvre d'art sacré — de même que l'athée serait capable de théologie pourvu qu'il soit expert en logique !
Rien pourtant n'est plus contradictoire avec l'artiste que l'employeur d'une technique, si talentueux qu'il soit. Non que l'artiste doive ignorer son métier ; il doit l'apprendre, le posséder, le dominer. Mais jamais le savoir, le savoir-faire ne feront un artiste. Il y faut autre chose, tout autre chose, que la tradition nommait inspiration. Vocable insubstituable de l'esprit. Non pas l'esprit libre de l'artiste qui lui permettrait de se dire cause de son œuvre. En aucun sens de ce mot l'artiste n'est l'origine de l'art, à moins d'être un copiste, ou l'essayiste d'un procédé — à moins précisément de ne pas être artiste. Ce dernier n'est pas l'artisan qui opère sur commande ou par caprice, L'artiste ne fait œuvre d'art que s'il ne peut s'y soustraire, par une (p.2) nécessité qui le dépasse, fait taire sa subjectivité, son goût, son intérêt. On dit qu'il « suit son inspiration », selon l'impérieuse demande spirituelle qui l'habite, le possède.
SIMPLE remarque qui en dit long, qui dit tout. Le « génie » de l'artiste n'est ni sa psychologie, ni son savoir, ni sa liberté. Il est plutôt par l'esprit qui fait taire et qui force son esprit, qui le relativise, qui exprime donc au travers de son être personnel, particulier, historique, contingent, éphémère, l'absolu de l'esprit. C'est pourquoi l'art n'est pas sacré par accident, au gré de son application au religieux, mais par nature, par divine et médiate inspiration, au travers de ceux dont il exige abnégation.
Il ne s'ensuit pas qu'une religion de l'art soit possible, comme révélation de Dieu. Pas, du moins, tant que le beau n'est pas lieu d'attente et lumière du vrai. Une « religion esthétique » qui l'oublie demeure en peine du manifeste de Dieu en sa Parole. Hegel est ici invincible. Mais l'art, dans son indétermination conceptuelle, théologique, atteste l'Esprit d'où le Verbe s'enfante — Esprit universel, mais aussi créateur.
Nous avons banalisé le terme de création, à mesure de l'oubli de l'être et de la toute-puissance de l'Esprit. Au point que « créativité » est dérisoirement synonyme d'ignorance et d'impuissance ! Ne faut-il pas nous souvenir que « créer » n'a de sens humain que par l'œuvre témoignant que quelque chose, en l'homme, passe infiniment l'homme ? Et cette œuvre est, a été et sera l'œuvre d'art. Privé d'elle, l'homme est orphelin de l'esprit ; « producteur » ou « consommateur », son être même s'atrophie si, avec l'expression artistique, l'ouverture à l'esprit lui est refusée. L'œuvre d'art dépose l'esprit dans la nature, est reddition du spirituel au naturel, quand nos savoirs et nos consciences accaparent le sens pour dominer les choses, au risque de s'y asservir. En ce temps de séparation, de rupture, de crise, où la conscience se fait l'autre d'une matière plus forte qu'elle, l'œuvre d'art demeure, en sens inverse, illumination spirituelle de l'être matériel, en imitation de la création du monde.
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