Le paradoxe du citoyen chrétien – L’Apologie de Justin

Mme. Émilie TARDIVEL
L’apologétique - n°231 Janvier - Avril 2014 - Page n° 97

Selon l’A Diognète et l’Apologie de Justin, le paradoxe du citoyen chrétien se formule ainsi : moins le citoyen vit selon la cité, plus il lui est utile. Ce sont donc les chrétiens qui sont les citoyens les plus utiles à la cité, eux qui vivent dans la cité comme des étrangers domiciliés, soucieux d’accomplir mieux quequiconque la loi, jusqu’à devenir eux-mêmes cette loi. Quoi qu’en dira Celse, les chrétiens incarnent l’idéal gréco-romain de la vertu civique, puisqu’ils s’efforcent de suivre le premier précepte de la loi naturelle, « vivre selon la raison, fuir le mal », et donc de se tenir lieu à eux-mêmes de loi. Ainsi, dit Justin à l’Empereur philosophe qui les condamne sans raison, les chrétiens sont les philosophes par excellence.

 

 

 

 

 

« Car notre citoyenneté, à nous, est dans les cieux, d’où nous attendons le Sauveur, le Seigneur Jésus-Christ », Lettre aux Philippiens 3, 20.

On s’est souvent demandé si la foi chrétienne impliquait une doctrine politique comme elle implique une doctrine sociale. La question n’est pas pertinente. Car si les chrétiens exercent nécessairement leur citoyenneté, s’il y a donc une citoyenneté (πολιτεα) chrétienne, elle ne saurait désigner un régime politique qui serait spécifiquement chrétien, pour une raison de principe : « Mon royaume n’est pas de ce monde », dit le Christ (Jean 18,36). Appartenant au Christ, les chrétiens appartiennent à un royaume qui est de Dieu, dont aucun régime politique (« monarchie chrétienne », « république chrétienne », etc.) ne saurait constituer l’expression nécessaire, ni même privilégiée. Le christianisme n’implique aucune doctrine politique particulière, qu’elle soit établie ou au contraire concurrente avec elle – donc toujours de même nature qu’elle : les chrétiens vivent dans la cité sans lui appartenir mais sans non plus soutenir de doctrine politique concurrente. La question de la citoyenneté chrétienne n’est pas celle qui demande quelle doctrine politique découle du christianisme, mais celle qui s’interroge sur cette absence même.

La πολιτεα chrétienne ne consiste pas à promouvoir et à exercer une doctrine politique, elle est une manière de vivre dans la cité. L’essence de la πολιτεα chrétienne réside dans cette situation problématique, parfaitement décrite dans l’À Diognète : les chrétiens  « résident chacun dans sa propre patrie, mais comme des étrangers domiciliés. Ils s’acquittent de tous leurs devoirs de citoyens, et supportent toutes les charges comme des étrangers. Toute terre étrangère leur est une patrie et toute patrie leur est une terre étrangère1 ».

Les chrétiens sont dans la cité, mais ils ne lui appartiennent pas, ils ne vivent pas selon la cité, comme l’affirme encore l’À Diognète, en référence à Romains 8,12-13 : « Ils sont dans la chair, mais ne vivent pas selon la chair » (V, 8). Comment caractériser la manière de vivre qu’implique la πολιτεία chrétienne ? [...]

 

 

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1. À Diognète V, 5, trad. fr. H. I. Marrou, coll. « Sources chrétiennes », n° 33bis, Paris, Cerf, 2005.

 

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