La miséricorde au carrefour des voies romanesques – Esquisse d’une lecture de Crime et Châtiment

Monsieur Patrick PIGUET
La miséricorde - n°243 Janvier - Février 2016 - Page n° 89

Dans Crime et Châtiment, nul message à déchiffrer sur la nécessité de la miséricorde. En effet, Dostoïevski, par sa narration polyphonique, fait entendre des voix discordantes à son sujet. L'unique fil d'Ariane devient alors l'espérance d'une rédemption. Elle se fait jour à la lecture d'une page d'évangile qui révèle les deux héros à eux-mêmes et montre le lien intime entre miséricorde et résurrection.

 

Les romans de Dostoïevski, on l’a souvent noté, rompent avec l’esthétique du point de vue omniscient : au lieu d’organiser le récit sous l’oeil d’un narrateur qui sonde les reins et les coeurs de ses personnages et juge leurs actes, l’écrivain accorde une autonomie à ses personnages. Traversés par des courants d’idées contemporains de l’auteur, ils ne cessent de confronter leurs visions du monde sans qu’aucune instance supérieure ne soit en mesure de jouer un rôle d’arbitre. Certes nous savons que Dostoïevski réprouvait certaines idées incarnées et défendues par ses personnages, mais leurs pensées et leurs actes parfois confus à leurs propres yeux ou à ceux du narrateur ne sembleraient pas s’articuler clairement à une signification globale du roman. On a nommé dialogisme ou polyphonie cette technique romanesque effectivement novatrice, même si l’on en trouve parfois les prémices chez un Balzac que l’auteur russe a traduit.

Pourtant, à la lecture d’un roman comme Crime et Châtiment, nous sentons bien que les événements racontés, même livrés au regard subjectif des personnages par un narrateur discret, même entrelacés de leurs discours passionnés obéissent à un certain tropisme narratif qu’il paraît péremptoire de priver de signification ; chez Dostoïevski, la polyphonie n’est jamais cacophonie. N’est-il pas même possible de penser qu’un de ses romans, sans devenir un roman à thèse, bête noire de la critique, soit innervé par une idée fédératrice, nourrissante, vivifiante jusque dans les oppositions et les contradictions qu’elle génère ? Dans sa préface à Crime et Châtiment, Georges Haldas émet cette hypothèse : « Peut-être le noeud gordien de ce roman, comme celui du héros, d’ailleurs, est-il formé par les énergies de pitié et de toute-puissance qui s’affrontent en Raskolnikov ». Effectivement, l’auteur nous semble, non démontrer, mais incarner, rendre palpable le fait que le salut d’un homme réside dans l’exercice et l’acceptation de la miséricorde. Pour être bafouée dans des discours contradictoires ou hostiles au point de paraître inaccessible, elle n’en reste pas moins omniprésente comme un appel que relance la narration. Et sa nécessité est indissociable de la conversion du héros, qui n’advient pas sans que soit donnée au Christ sa vraie place par l’écoute de sa parole.

Dans Crime et Châtiment, il n’est question que de compassion, de pitié ou de miséricorde, que ces notions soient invoquées, réfutées, méditées par les personnages ou le narrateur. Mais notons aussitôt que le mot de miséricorde [...]

 

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