Les fresques de Signorelli à Orvieto: « toutes les histoires de la fin du monde selon une invention bizarre et capricieuse »

Luca Signorelli a réalisé un ensemble de fresques sur le thème de la fin du monde qui forment l’un des plus amples programmes eschatologiques jamais réalisés en Italie. Dans ses visions du règne de l’Antéchrist, des calamités apocalyptiques, de la résurrection des morts et du Jugement dernier, le peintre invente un langage plastique inédit et accorde autant de place à sa propre imagination qu’aux conceptions théologiques traditionnelles.

La cappella nova (elle ne prendra le nom de chapelle San Brizio qu’au XVII^e siècle), a été édifiée au début du XV^e siècle à l’extrémité du bras sud du transept de la cathédrale d’Orvieto. Il s’agit d’une vaste chapelle composée de deux baies voûtées en croisée d’ogives. En 1447, l’OEuvre du dôme commande à Fra Angelico le décor de la voûte, mais seul celui de deux voûtains de la seconde baie est réalisé. Le voûtain adjacent au mur de l’autel montre le Christ Juge entouré d’anges : le programme prévoyait donc un Jugement dernier qui se serait déployé au moins sur le mur de l’autel. Après diverses mésaventures, l’OEuvre du dôme obtient que Luca Signorelli poursuive le chantier. Un premier contrat est signé en 1499 pour l’achèvement du décor de la voûte, suivi d’un second l’année suivante pour le décor des murs¹. Ces très vastes surfaces (chacune des grandes images narratives sur les murs latéraux mesure environ 550 x 650 cm) ont permis au maître cortonais de développer l’un des plus amples et complexes programmes eschatologiques jamais réalisés en Italie. Signorelli s’est représenté en pied, vêtu d’un ample habit noir, au premier plan du Règne de l’Antéchrist : l’importance accordée à sa propre image révèle qu’il a conçu ce décor comme une occasion majeure pour déployer ses capacités d’inventeur, aussi bien pour l’iconographie que pour la forme. Insistant sur le caractère personnel et étrange des fresques, Vasari écrit que Signorelli a représenté à Orvieto « tutte le storie della fine del monde con bizzarra e capricciosa invenzione² ». Cette remarque étonne : les membres de l’OEuvre du dôme et les clercs de la cathédrale ont-ils autorisé le peintre à laisser libre cours à son imagination, et ne l’ont-ils pas incité à illustrer scrupuleusement le dogme ? Le domaine de l’eschatologie a en fait un statut particulier : il concerne des royaumes invisibles et le futur, qui est « connu seulement de Dieu » comme l’écrit Isidore de Séville dans ses Étymologies (V, 39).[...]

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1 Le chantier est terminé en 1504. Pour l’histoire de la réalisation du décor et son iconographie voir surtout : Creighton E. Gilbert, How Fra Angelico and Signorelli Saw the End of the World, University Park, Pennsylvania State University Press, 2003. Pour les images, on pourra consulter le site Web Gallery of Art, ainsi que La Cappella nova o di San Brizio nel Duomo di Orvieto, dir. Giusi Testa, Milan, Rizzoli, 1996 ; Steffi Roettgen, Fresques italiennes de la Renaissance 1470-1510, Paris, Citadelles & Mazenod, 1997.

2 Giorgio Vasari, Le vite de’ più eccellenti pittori, scultori e architettori, éd.Paola Barocchi, Rosanna Bettarini, Florence, Studio per edizioni scelte, 1966-1971, vol. 3, p. 637.