Les frontières en Islam − Entre unification impérialiste et fractionnement opportuniste

M. Olivier HANNE
Les frontières - n°266 Novembre - Décembre 2019 - Page n° 33

Derrière l’impression d’une unité des terres de l’Islam au Moyen Âge autour du califat et dans la Umma se dissimule une fragmentation permanente en principautés autonomes. L’histoire a donc généré en Islam une double frontière : intérieure et extérieure, chacune revêtant des dimensions ethnique, morale et religieuse. La géographie islamique représente un cas unique de balancement entre une unification impérialiste et un fractionnement opportuniste s’appuyant sur le contrôle des villes, lesquelles sont le seul point d’ancrage pérenne des espaces politiques. Quant à la frontière extérieure, si elle est le terrain privilégié du jihad, elle offre elle aussi toutes les formes possibles d’une coexistence avec l’ennemi, d’échanges commerciaux et même de « sociétés de frontières », où se rejoignent hérétiques et marginaux de l’Empire.

 

En Islam, le problème des territoires et de la frontière s’est posé dès le Moyen Âge, avant de devenir récurrent dans les systèmes politiques modernes. Car si le message du prophète Muhammad se veut avant tout théologique et moral, on le voit en 622 nouer un accord politique avec les tribus de Yathrib (Médine), accord qui sauve sa prédication de la persécution. Ce pacte écrit, appelé la « Constitution de Médine », instaure une Umma, une confédération de solidarité et de guerre, dont l’unité est assurée par la soumission à un dieu unique et à Muhammad. La Umma dans son ensemble se comporte comme une tribu ; elle a son chef, son dieu, ses lois. L’aspect territorial est secondaire, la communauté se contentant de l’allégeance des tribus, quel que soit leur espace. C’est pourtant dans cette définition de la Umma que se trouve en germe la complexité du rapport musulman au territoire et à la frontière. Elle est à la fois un royaume terrestre, une loi, un empire, un peuple et une religion. Si l’islam ne rejette pas l’idée de contrôle de territoire, celui-ci n’a toutefois pas de limite stricte. Nous tenterons de dégager les grandes lignes des rapports particuliers que la religion musulmane et surtout la civilisation islamique ont entretenus avec leurs territoires et leurs frontières, rapports rendus complexes en raison des tensions entre les prescriptions religieuses théoriques, les nécessaires accommodements avec les systèmes tribaux et l’ambition de construction d’un empire universel.

1. Un empire sans frontière

Les premiers califes, au viie siècle, vont accentuer la dimension sociale et politique de l’Islam par leurs conquêtes, en lui donnant toutes les formes d’un État impérial dominant l’ensemble du Moyen-Orient et la rive sud de la Méditerranée. Aucun découpage territorial des conquêtes n’a été anticipé par les califes qui ont laissé cette question à l’appréciation de leurs émirs, c’est-à-dire les chefs de guerre devenus gouverneurs. On distingua par exemple en Syrie quatre gouvernorats militaires : Damas, Homs, la Palestine et le Jourdain (al-Urdunn). [...]

 

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