Univ.-Prof Jozef NIEWIADOMSKI
Les frontières
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n°266
Novembre - Décembre
2019 - Page n° 87
La montée en puissance des nationalismes appelle à une réflexion sur la nation, thème qui n’a pas été abordé dans le débat post-conciliaire, sinon dans le cadre de la théologie polonaise qui inspira les évêques à faire des gestes de réconciliation envers « les ennemis de la nation ». La lettre qu’ils ont adressée à leurs « frères allemands » au concile Vatican II et les mots « Nous pardonnons et demandons pardon » ont anticipé la réconciliation politique entre Polonais et Allemands. Quelque chose de similaire s’est produit dans les relations avec l’Ukraine. Le franchissement des frontières qui s’accomplit dans l’attitude ecclésiale de pardon entre nations ennemies offre une expérience de catholicité dans sa forme la plus élevée.
On ne pouvait trouver meilleur moment. Le 18 novembre 1965, les évêques polonais ont courageusement franchi une des frontières les plus importantes concernant l’identité nationale de la Pologne d’après guerre. L’expérience tangible de la catholicité vécue à Vatican II les avait sensibilisés à la nécessité, mais aussi à la chance, de pouvoir guérir une blessure douloureuse dans la mémoire collective du peuple polonais. Les différents partages de la Pologne au xviiie siècle, mais surtout la période hitlérienne et les crimes nazis avaient fait germer dans la conscience nationale polonaise l’idée que Polonais et Allemands étaient des ennemis héréditaires. Dans la Pologne d’après guerre, l’image de « l’Allemand haïssable » − présente un peu partout dans des représentations de soldats SS hurlants − ne maintenait pas seulement vivace la mémoire de la menace de guerre, elle stimulait aussi des sentiments de haine et pouvait ainsi être instrumentalisée par la propagande communiste pour servir de ciment national. D’autant plus qu’en termes de « Realpolitik » un problème brûlant demeurait. La « ligne Oder-Neisse » séparait deux visions du monde politique et religieuse. La rhétorique officielle des « territoires reconquis », dont la
signification pour la politique intérieure polonaise d’après guerre ne peut guère être surestimée, était confrontée à un statut ecclésiastique non dépourvu d’ambiguïté : les « diocèses jadis allemands » étaient dotés d’administrateurs polonais, tandis que les Allemands catholiques voyaient, dans les vicaires capitulaires nommés pour eux par le Vatican, les supérieurs hiérarchiques véritables d’ « anciens territoires allemands ».
À l’occasion du Concile, auquel tous avaient pris part comme évêques catholiques, les évêques polonais ont alors proposé d’engager un dialogue permanent entre les évêques des deux « nations ennemies » – qu’ils désignent comme les victimes douloureuses des deux côtés – et ont invité le côté allemand au Jubilé de la nation polonaise, « le millénaire du baptême de la Pologne », que l’on fêtera en 1966. En agissant ainsi, ils semblaient – sans en avoir probablement conscience – reprendre à leur compte et ratifier la thèse fondamentale du livre du Père de Lubac, Catholicisme, paru en 1938 et devenu un grand classique. Il écrivait au sujet du catholicisme de l’Église : « Le catholicisme est la Religion. […] Seule réalité qui n’ait pas besoin pour être de s’opposer, il est donc le contraire d'une “société close” ». [...]
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