Rencontre avec Robert BRESSON - A propos du film "Le diable probablement"

R. P. Guy BEDOUELLE
La loi dans l'Eglise - n°17 Mai - Juin 1978 - Page n° 79

Dossier: rencontre avec Robert Bresson

Tout l'article est joint.

Le dernier film de Robert Bresson, Le Diable probablement, a certainement déconcerté nombre d'admirateurs de ce cinéaste par l'intégration d'une actualité récente dans cette oeuvre qui en devient un cri d'alarme pour notre civilisation. Il a sûrement conforté dans leur opposition les spectateurs heurtés par ce qu'ils déplorent d'habitude comme un hermétisme des dialogues et de l'action.

Reprenant le cadre parisien des jardins du Vert-Galant au Pont-Neuf tel qu'il l'avait laissé dans les Quatre Nuits d'un rêveur, et l'inspiration de ce film admirable, Bresson a réalisé avec Le Diable probablement un film sur la jeunesse, fait avec elle, mettant son espoir en elle. Peu importe, pour nous ici, le déroulement exact de l'action : elle retrace les derniers jours d'un jeune homme, Charles, qui, par une sorte de révolte « par le haut », comme on l'a dit, se suicidera en armant la main d'un camarade. Charles sera ainsi tué de sa propre volonté, et pour de l'argent.

Un suicide-assassinat, telle est bien l'essence du mal. Mais il est aussi vertige, et appel. Refusant ce monde, Charles tend les bras vers l'autre. Il croit autant qu'il le peut à la vie éternelle, selon sa propre réponse au psychanalyste. La lecture « christique » peut difficilement être récusée [[Voir dans les pages qui suivent, la « lecture théologique » du film que proposent Jean et Marie-Hélène Congourdeau, et mon essai « Images du Christ », dans Communio, II (1977), 1, p. 61-70.]]. Mais elle est rigoureusement imbriquée dans une vision plus actuelle et critique.

Prenons par exemple deux scènes parallèles mais bien différentes, qui se passent dans une église. La première, à laquelle assistent et participent Charles et ses amis, met aux prises des intégristes et un jeune vicaire, moderne plus que « moderniste ». Dans la seconde, Charles et Valentin, le jeune drogué, se sont installés de nuit, avec leurs sacs de couchage, dans l'église déserte. L'électrophone joue un admirable morceau de Monteverdi : Ego dormio. Valentin ira briser les troncs et l'argent s'écroulera sur le sol. On est passé des navrants affrontements actuels à Gethsémani. (p.79)

Essai de lecture théologique

Le film évoque la pollution sur toutes ses formes : l'argent, la pornographie, la marée noire, les boues rouges. Il ne dénonce pas, il se contente de montrer. Partout règne la destruction, dans l'anarchie, la division, la drogue, la nature abîmée. La brutalité de l'homme dans les villes s'étend jusqu'à la campagne où les promeneurs sont pourchassés par la gendarmerie...

Les personnages du Diable... ne sont pas des héros qui s'opposent victorieusement au mal envahissant. Si Valentin se drogue, si Charles se suicide, les filles sont animées d'un désir de sacrifice mais ne savent trop que faire. Devant ces jeunes-là, les critiques les mieux intentionnés s'y sont trompés et leur ont refusé le droit à la parole sous prétexte qu'on les voit une fois en Triumph. D'ailleurs, sauf exceptions [[ Par exemple, Gabriel Matzneff, dans Le Monde du 5 novembre 1977.]], la critique a montré un certain désarroi devant le film, oscillant entre l'admiration de pur conformisme, la récupération idéologique ou l'indignation. Cette incompréhension a culminé avec la tentative d'interdiction au moins de 18 ans, alors que Bresson avait fait le film précisément pour ceux-là.

C'est pour lever ces malentendus qu'il nous a paru utile d'interroger Bresson. Mais nous avons voulu le faire à partir d'une lecture délibérément théologique rédigée par Jean et Marie-Hélène Congourdeau, qu'on lira ci-après et qui a servi de point de départ à ce qui fut, je crois, une vraie «rencontre » avec Robert Bresson. On le verra, Bresson ne renie aucunement cette approche « christologique » et rédemptrice du film, mais selon une religion moins « explicative ou explicatrice », selon une esthétique moins abstraite qu'intuitive ou « sensitive » où les symboles sont comme donnés par surcroît.

Car l'entretien a vite dépassé Le Diable probablement, même si on y est revenu ensuite en évoquant la censure et l'Église actuelle, pour aborder, avec Bresson et la discrétion qui le caractérise, l'art du « cinématographe », l'avenir, le rôle de la jeunesse, la foi, le respect du mystère. En tout cela, Bresson ne répond ni en philosophe, ni en théologien, mais en artiste croyant, inquiet par ailleurs de l'évolution de l'Église menacée en sa liturgie. Peintre, cinéaste, Robert Bresson s'attache au réel, qui est non reproduction mais production de la figure même des choses, comme le lui suggère J.-L. Marion en l'interrogeant sur ce qui nous paraît une esthétique théologique. Et Bresson affirme : « Peut-on échapper au réel ? C'est parce que je suis réaliste que je crois en Dieu et aux mystères ».


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