M. Claude BRUAIRE
Le pluralisme
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n°46
Mars - Avril
1983 - Page n° 2
Dans quelle mesure un terme d'origine politique -- pluralisme -- peut-il légitimement se transposer dans le domaine de la foi chrétienne? Pour autant que la liberté des consciences n'afflige pas la liberté de l'infini donné, mais l'accueille et la réfracte.
Tout le texte est joint.
LE terme de «pluralisme » nous vient d'un récent vocabulaire politique. D’usage polémique, il y exprime le refus du « parti unique », cet alibi démocratique d'un régime totalitaire. Positivement, il signifie l'admission d'une pluralité d'opinions représentées par des partis multiples, et donc la liberté d'expression, menacée cependant d'une prolifération anarchique.
Parce que les mots-emblèmes de la politique envahissent le vocabulaire courant, le pluralisme déplace un sens qui devient imprécis dans d'autres domaines. C'est le cas notamment partout où il s'agit de chercher le vrai, dans la méthode comme dans les résultats. Le présent numéro pose une seule question, mais elle est de taille, par ses enjeux : la pensée religieuse du Christianisme peut-elle, doit-elle, accueillir le concept de pluralisme, et de quelle manière précise doit-elle le faire si elle veut éviter toutes les confusions que favorisera éventuellement le fait qu'il est nécessaire de l'admettre en politique, quand on vit en démocratie ? Force est de remarquer, au préalable, qu'en son origine politique, précisément, le pluralisme ne signifie une tolérance systématique de multiples positions, qu'en impliquant l'unique et exclusif principe du droit des libertés, garanti par un pouvoir régi lui-même par une identique constitution. Et, par suite, une même et commune éthique du politique qui fonde et norme la législation du droit. Le multiple est exigence de l'un et de l'unique, dès lors que le droit a la liberté de l'esprit pour principe et pour règle.(p.2)
CETTE observation est simple, mais sa transposition au plan religieux est cependant difficile et délicate. Car l'absolu divin pèse infiniment sur le recueil des distinctions. On voit bien ce que « pluralisme » refuse : un dogmatisme théologique immobilisant la recherche, une exclusion des cultures où s'exprime la révélation, un totalitarisme méprisant l'histoire au prix de confondre une histoire, une expression particulière, avec le logos éternel. On voit moins clairement l'unité identique que présuppose le multiple, au risque de passer à l'autre extrême de l'équivalence des thèses dissemblables, opposées, irréductibles. Il ne suffit pas, ici, de rappeler l'exigence de l'unique qui porte et norme la recherche de la vérité. Cela vaut déjà des pensées philosophiques, moins discordantes, à l'analyse sérieuse, que ne le fait croire une présentation extérieure et superficielle : c'est que les philosophes communiquent dans les mêmes lieux de leur interrogation. Et, selon le modèle offert par Leibniz, l'ensemble de toutes les perspectives possibles corrigerait systématiquement la partialité de chacune. Mais la pensée de la foi a, croyons-nous, d'autres contraintes qui sont le revers nécessaire et le fondement irremplaçable d'une liberté illimitée : celles qui traduisent dans l'histoire, dans nos pensées, en toute variété de situation historique, la révélation de l'Unique, le don effectif de Dieu en Jésus-Christ. Don de l'infini inépuisable en quelque expression, si fidèle qu'elle soit, avivant perpétuellement 1 inventivité chrétienne. Mais infini donné dans des paroles déterminées, dans un sacrifice divin accompli, dans une injonction irréductible pour l'existence, dans l'institution indélébile d'une Église. Si bien que le « pluralisme chrétien » n'est intelligible que par une infrangible « fidélité créatrice » - selon l'heureuse expression de Gabriel Marcel. Manifestement, un tel « pluralisme » exclut rigoureusement tout relativisme intellectuel et ecclésial qui tenterait de niveler, en les supposant équivalentes, toutes les positions, et les plus contradictoires, au mépris de leurs auteurs et dans l'indifférence du vrai et du faux. Ainsi en est-il d'un œcuménisme à bon marché, anticipant par des mots vides la requête laborieuse d'une unité difficile, quand l'unité des pensées est encore impossible. Ainsi en est-il d'un relativisme moral que susciterait, entend-on dire, la liberté religieuse. L'esprit libre, libéré par le Christ, sait, au vif de sa foi, que le mal n'est pas relatif au bien, que l'amour doit vaincre et non composer avec la haine mortelle.(p.3)
Il nous faut sans trêve, au bout du compte, rallier l'invocation du Fils: 'Qu'ils soient un'. Car elle nous dit le paradigme, mieux, la vérité absolue, du pluralisme:'...comme nous sommes un'. Il faut le pluralisme de trois pour l'unité de l'Unique. Il nous est promis la multitude des demeures en Dieu, pour l'unité de ses enfants.
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