La crise, un lieu décisif

le 13/06/2025 par Rédaction

Interview du Père Jean-Robert Armogathe

par Jan-Heiner Tück, rédacteur en chef de la revue Communio de langue allemande,

à l’occasion de la journée anniversaire du 14 mai 2025 au Collège des Bernardins

 

Jan-Heiner Tück : La revue Communio tente de traduire dans l’actualité les intuitions théologiques des fondateurs. Qu'est-ce qui est essentiel pour le programme de Communio ?

Jean-Robert Armogathe : Je considère que deux aspects sont décisifs. Le premier est de voir la tradition théologique dans toute sa profondeur : des Pères à l'époque contemporaine en passant par la tradition médiévale. Et le deuxième, c'est le souci de l'unité dans la diversité. Notre programme Communio est un programme d'unité dans la diversité des sensibilités et des options au sein de l'Église.

Vous comptez, avec Jean-Luc Marion, Jean Duchesne et Rémi Brague, parmi les figures fondatrices de l'édition française de Communio. Comment avez-vous côtoyé Hans Urs von Balthasar, Henri de Lubac et Jean Daniélou dans les années 1970 ?

Nous étions tous très jeunes à l'époque, soit étudiants, soit jeunes assistants universitaires, sans grand poids académique. J'ai été très impressionné par la grande attention que ces personnes - Balthasar, de Lubac, Daniélou, Bouyer ou encore Le Guillou - portaient aux jeunes que nous étions. Nous n'avions aucune expérience, certains d'entre nous n'avaient même pas de diplôme de théologie. Ce n'était pas une question de sympathie individuelle. Je crois que c'est surtout la doctrine de Balthasar sur les états chrétiens et sa conviction que la Trinité est présente et que l'Esprit agit dans tous les états qui lui ont donné confiance dans le fait que les jeunes laïcs - j'étais laïc à l'époque - puissent comprendre cette théologie.

En Allemagne, on observe depuis peu avec une grande attention la renaissance du catholicisme en France. L'augmentation des baptêmes d'adultes – l’écho trouvé chez les jeunes. Comment jugeriez-vous ces phénomènes ?

Les chiffres ne font pas tout. Ce qui est plus important pour moi que l’augmentation du nombre de baptêmes d'adultes, c'est la profondeur de l'engagement de nombreux catholiques en France. Je suis actif en milieu rural, comme prêtre à la retraite, et je suis impressionné par la qualité de l'engagement des laïcs, qui n'existait pas il y a 30 ans. Les mères et les pères donnent beaucoup de leur temps pour se former et transmettre la foi. Je reçois nombre de demandes pour des exposés et des conférences et, à ces occasions, on me pose des questions très intelligentes qui me montrent que c'est possible : les laïcs sont bien formés, ils sont curieux, ils veulent connaître et comprendre la doctrine catholique, non pas par simple curiosité personnelle, mais parce qu'ils veulent transmettre à leurs enfants et petits-enfants ce qu'ils ont reçu.

Quel est le rôle des communautés et des mouvements spirituels ?

Ces mouvements se sont surtout répandus dans les années quatre-vingts et quatre-vingt-dix et ont eu une force charismatique que le pape Jean-Paul II a beaucoup appréciée. Mais ils ont perdu de leur importance aujourd'hui. Il y a aujourd'hui un fort engagement individuel, y compris de la part des jeunes, en dehors des mouvements. Je l'ai remarqué dernièrement lors des Journées mondiales de la jeunesse à Lisbonne. La question qui se pose à présent est la suivante : comment l'Église peut-elle réussir à ne pas décevoir ces jeunes de 20 à 30 ans ? Sommes-nous en mesure de comprendre leurs questions et de parler leur langage ? Trouveront-ils dans l'Église une réponse à leur engagement ?

Lors de la rencontre organisée à l'occasion des 50 ans de la Communio française à Paris, la question de la crise de l'Eglise et de la crise de la société a été posée. Face à cela, quelle est la mission de Communio ?

Il est apparu très clairement que la notion de crise est ambiguë. Si nous l'entendons au sens biblique, il s'agit du lieu d'une décision qui découle d'un discernement. C'est d'ailleurs aussi le sens médical du mot : la crise est le moment où l'on décide si le malade va mourir ou vivre. L'une des tâches de Communio est celle d'un veilleur, comme l'a dit Balthasar. Nous ne prenons pas nous-mêmes les décisions, mais nous balisons les lieux qui seront des lieux de décision.

Cet entretien est paru sur le portail de la Communio germanophone : https://www.herder.de/communio/theologie/50-jahre-franzoesische-communio-ein-gespraech-mit-jean-robert-armogathe-orte-der-entscheidung-benennen/