Lors de la célébration du 50e anniversaire de la Communio française, le 14 mai 2025, Olivier Boulnois, membre du comité de rédaction, a rappelé le lien entre la devise du nouveau pape et la théologie de la communion du Concile Vatican II. En ces temps de tensions et de conflits, elle est plus que jamais d'actualité.
L'Église catholique est actuellement traversée par de multiples tensions. Les conflits traversent les paroisses, les diocèses, les conférences épiscopales et les facultés de théologie. Ce que les uns considèrent comme une poussée réformatrice nécessaire pour enfin s'adapter aux modes de vie de la société moderne, les autres le voient comme une adaptation inquiétante, voire une rupture dangereuse de la tradition. Des termes comme « progressiste » et « conservateur » désignent moins des positions théologiques claires que des attributions stratégiques. Voilà qui engendre des forces centrifuges menaçant de déchirer la communio ecclesiae.
Dans cette situation, la devise du pape Léon XIV In illo uno unum - « Un en celui qui est un » - constitue un signal spirituel remarquable. La phrase est tirée d'un sermon de saint Augustin et s'inscrit dans un contexte christologique et trinitaire : la multitude devient une dans le Christ et est ainsi en même temps unie dans l'amour du Dieu trinitaire. Saint Augustin nous exhorte à aller au-delà de nous-mêmes pour nous trouver. La devise augustinienne renvoie à ce qui est attribué de nouveau à l'Église au milieu de toutes les oppositions : le Christ lui-même comme centre et mesure de toute unité.
Comme l'a fait remarqué Olivier Boulnois, lors de la célébration du 50e anniversaire de l'édition française de Communio à Paris, le 14 mai dernier, cette perspective s'inscrit dans une certaine continuité avec la théologie de la communion du Concile Vatican II. L'Eglise n'y est pas comprise en premier lieu comme une institution juridique ou une instance morale, mais comme une communion unie par l'Esprit Saint - comme une communauté vivante de croyants qui participent à la réalité de la vie de Jésus-Christ. L'unité n'est donc pas une forme monolithique, mais une forme d'appartenance fondée spirituellement, qui n’annule pas la diversité, mais la contient.
Mais c'est précisément à ce stade que les problèmes deviennent aujourd'hui virulents. La communion n'est pas un espace de consensus idyllique qui gère les divergences d'opinion. La fragmentation et la polarisation actuelles montrent que les situations conflictuelles des sociétés modernes trouvent également un écho dans l'Eglise. La formation de camps théologiques, l'exacerbation médiatique et les blocages structurels rendent la cohabitation difficile - même dans une Eglise synodale. Hans Urs von Balthasar, l'un des fondateurs de la revue Communio, a proposé dans ce contexte une interprétation théologique issue du monde de la musique : La vérité est symphonique[1]. Différentes conditions sont importantes pour l'harmonie d'un orchestre. Tous les instruments sont accordés à partir de la même note, tous doivent s'écouter les uns les autres et être attentifs aux signaux du chef d'orchestre afin que la dynamique et l'agogique s'accordent. La vérité symphonique n'est pas assurée théologiquement dans une communication à sens unique, dans laquelle les dépositaires de la vérité transmettent des directives et des décrets autoritaires aux simples fidèles. Dans une Église synodale, elle se déploie plutôt dans un processus polyphonique – souvent avec l'inclusion de dissonances.
A la lumière de ce constat, la devise de Léon XIV n'apparaît pas comme une formule pieuse, mais comme une orientation fondée sur l'eschatologie. L'unité en Christ n'est pas une performance à atteindre par des efforts d'optimisation, mais une réalité offerte – déjà présente dans la foi, dans les sacrements, dans la communion des saints, dans l'engagement pratique pour les autres, mais pas encore achevée. Supporter cette tension dans la communion est le défi spirituel du moment. Celui qui veut aplanir trop vite les contradictions ou les désamorcer de manière autoritaire risque de perdre ce qui est porteur. Mais celui qui les fixe durablement trahit l'espoir en la diversité réconciliée de l'Église.
La théologie de la communion peut aider à éviter la division en factions et à se référer au centre unificateur, dans lequel les contradictions sont abolies par surenchère : Christ, l'Unique. En lui, l'Église devient une – non pas par l'équilibre des pouvoirs, mais par la participation. Le chemin vers l'unité ne passe donc pas par la victoire ou la retraite, mais par la conversion spirituelle. In illo uno unum - ce n'est pas un état, mais une mission. Et une promesse.
Cet entretien est paru en allemand sur le portail de la Communio germanophone : https://www.herder.de/communio/theologie/der-wahlspruch-leos-xiv-und-die-theologie-der-communio-in-dem-einen-sind-wir-eins-/
Un texte traduit par Paul-Victor Desarbres
[1] Dernière édition en traduction française : Parole et silence, 2016.