M. Claude BRUAIRE
Après la mort
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n°29
Mai - Juin
1980 - Page n° 2
Le Dieu vivant et sauveur nous appelle à sa vie, qui doit mystérieusement absorber la faiblesse de nos corps mortels.
Tout le texte est joint.
QUE serons-nous, après la mort, si Dieu nous en libère ? L'espérance entretient cette interrogation vive et personnelle, aussi intime que l'angoisse de la mort nous est propre, impartageable. Aucune représentation collective ne peut l'effacer, à moins de se distraire de notre destin en cédant aux idéologies de la métamorphose sociale. Aucun espoir de retrouver l'être aimé, aucune attente de la fraternité universelle instaurée, qui ne butent sur la même question préalable : comment penser mon existence ressuscitée, comment y croire ?
Nous ne pouvons espérer et désirer si nous restons fixés à l'image d'une divinité étrangère à notre vie, absente de notre histoire, condamnée à une éternité vide, perdue dans son abstraction. Pas davantage pouvons-nous assimiler un bonheur éternel à une satiété mortelle, à quelque vision immobile indiscernable tant de la cécité que de l'ennui indéfini. Mais au chrétien, la Bonne Nouvelle dit tout le contraire : un Dieu qui est plénitude des temps, un Dieu vivant absolument dans l'infinie intensité de l'amour trinitaire, d'une vie plénière qu'atteste et occulte, tout à la fois, l'Incarnation du Fils. Un Dieu qui ne promet pas d'étancher notre soif d'être, de connaître et d'aimer, sans promettre d'aviver éternellement ce désir qui est l'animation même de l'Esprit.
Pourtant, toute affirmation de la foi au Dieu sauveur cède au silence d'un doute qui écrase l'espérance chaque fois que se pose, lancinante, la question de mon corps. Nous répétons les mots de la résurrection de la chair, mais nous ne savons comment y croire, tant la certitude est dure de la reddition de notre corps aux éléments de la nature, à chaque événement de mort humaine. Alors que serons-nous ? Une « âme » désincarnée, prisonnière aujourd'hui de l'enveloppe charnelle, demain rendue à sa réalité séparée ? Mais c'est précisément ce que dépasse l'annonce de la résurrection. Il est vrai que le dualisme exprimé en rigueur éclatante dans le Phédon de Platon s'est préservé d'âge en âge, (p.2) et pèse au fond de nos pensées. Au point de balancer, chez les théologiens eux-mêmes, l'affirmation du christianisme. Peut-être même faut-il reconnaître que la pensée philosophique n 'a guère profité, ici, d'une suscitation neuve de notre foi.
QUE pouvons-nous penser, sur ce point crucial de notre destinée ? Il nous faut, d'abord, maintenir deux certitudes inscrites en notre existence. Celle qui nous fait dire : je ne suis pas mon corps, ni selon la biologie, ni selon la subjective sensibilité. Et celle qui nous fait ajouter que la vie d'un corps nous est nécessaire cependant, pour exister comme un être d'esprit, un être qui s'exprime, un être qui parle. Mais précisément, quand une personne manifeste son être propre sur son visage, sur son regard, quand le corps des mots se fait oublier chaque fois que le sens intelligible dévore leur chair naturelle, nous savons que l'existence spirituelle, plus forte que la nature, ne vit en de l'esprit impérissable qu'en perdant son non-sens naturel, que dans la défaite de sa vie obscure et promise à la décomposition. C'est pourquoi nous ne pouvons nous représenter le corps ressuscité à l'aide des images de la vie naturelle.
Ainsi la réponse de saint Paul à notre éternelle question : comment les corps ressuscitent-ils ? demeure-t-elle seule adéquate, en son indécision même, puisqu'elle prend acte de l'absolue contingence de notre chair naturelle : « Autre l'éclat des corps terrestres, autre celui des corps célestes... Il en sera ainsi de la résurrection des corps » (1 Corinthiens 15, 40, 42).
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