Jean-pierre MAHÉ
Après la mort
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n°29
Mai - Juin
1980 - Page n° 89
En présentant un tableau complet des travaux actuellement disponibles sur les Pères de l'église, un spécialiste dresse un bilan, offre des guides de lecture et témoigne d'une passion de foi.
Les trois premières pages, 89-91, sont jointes
LA communion des fidèles de l'Église catholique et de toutes les autres assemblées chrétiennes se traduit par la profession du symbole apostolique de Nicée. La récitation liturgique de ce symbole concrétise, d'une façon très éminemment significative, la présence des Pères dans l'Église d'aujourd'hui, le besoin que nous éprouvons toujours de nous rattacher à leurs enseignements. Les Pères sont tout d'abord, au sens strict du terme, les témoins et les successeurs des Apôtres, c'est-à-dire les évêques qui, par la sainteté de leur vie, la totalité de leur engagement pastoral et l'autorité de leur doctrine, ont propagé ou maintenu dans leur diocèse et dans l'Église universelle, l'enseignement apostolique authentique, la foi au Verbe incarné et à Jésus-Christ homme et Dieu, mort et ressuscité.
Cette définition peut être élargie en plusieurs directions. En dehors des évêques eux-mêmes, des prêtres ou des laïcs jouèrent souvent un rôle capital dans la défense de la foi, en sorte que leur doctrine se rattache de plein droit à l'enseignement des Pères. C'est ainsi que saint Cyprien, évêque de Carthage (mort en 258) demandait les œuvres du laïc Tertullien (environ 160-220) en l'appelant son « maître ». D'autre part, du fait que l'orthodoxie formula les dogmes les plus essentiels de la foi pour combattre l'erreur ou l'hérésie, la patristique ne saurait se limiter à l'étude exclusive des Pères ou des docteurs orthodoxes : elle inclut nécessairement tous les écrits de l'adversaire, et jusqu'aux apocryphes dont il fut fait usage pour soutenir telle ou telle hérésie.
Dans le temps, on accorde évidemment une attention toute particulière aux Pères des quatre premiers siècles, c'est-à-dire à ceux qui précédèrent ou suivirent de près, puis imposèrent par leur enseignement le Concile œcuménique de Nicée (325), le seul auquel adhère jusqu'à nos jours l'ensemble des communautés chrétiennes. Les conciles d'Ephèse (431) et de Chalcédoine (451) jouèrent aussi un rôle considérable dans la définition du dogme de l'Incarnation, mais ils provoquèrent parmi les chrétiens des divisions, lourdes de conséquences à la veille des invasions islamiques et qui ont malheureusement persisté jusqu'à nos jours. Du point de vue de l'histoire des idées, par-delà l'orbite de ces trois conciles capitaux pour la chrétienté, on peut élargir la littérature patristique jusqu'à y inclure toute expression de la pensée chrétienne extérieure à la scolastique (p.89)médiévale et antérieure aux temps modernes. Cette définition permettra d'étudier en même temps que les Pères certains auteurs tardifs, tels saint Bernard de Clairvaux (1090-1153), l'apôtre de la seconde Croisade, qui écrit son traité De la grâce et du libre arbitre sous l'influence directe de saint Augustin, ou Grégoire de Narek (environs de l'an 1000), en Arménie, l'un des plus extraordinaires poètes de la chrétienté, fervent lecteur des Pères cappadociens, notamment saint Grégoire de Nysse.
L'étude des Pères remonte aux premiers siècles chrétiens. Saint Jérôme (342-420), le savant traducteur de la Bible, nous en donne un brillant témoignage dans son ouvrage Les hommes illustres qui eut, durant toute l'antiquité et jusqu'aux temps modernes, de nombreux émules ou imitateurs. A la fin du XVIe siècle commencent à paraître les collections de textes patristiques, par exemple, la Bibliotheca SS. Patrum de M. de la Bigne (8 volumes, Paris, 1575). Ces collections ouvrent la voie aux éditions plus scientifiques des Mauristes, qui réalisent notamment, de 1679 à 1700, une très solide édition des œuvres de saint Augustin, à l'Abbaye de Saint-Germain-des-Prés, où, trois siècles plus tard, en 1979, vient de s'installer l'Institut des Études Augustiniennes.
QUELS que soient les mérites de ces précurseurs, l'âge moderne de la patristique commence avec l'abbé Jacques-Paul Migne (1800-1875), qui prit l'initiative, à une époque où l'enseignement de l'Église, systématiquement contesté au nom de la critique historique et de la science moderne, était souvent méconnu ou déformé par les fidèles eux-mêmes, de publier une documentation dont l'ampleur reste inégalée : sa Patrologia latina (1844-1855), dont les 221 volumes in folio incluent tous les auteurs chrétiens de langue latine, depuis les origines jusqu'à Innocent III (1160-1216) et sa Patrologia graeca (162 volumes, 1857-1866), incluant les auteurs grecs jusqu'à 1439 et munissant chaque texte original d'une traduction latine.
Pour réaliser en un laps de temps aussi court une oeuvre aussi considérable, J.-P. Migne fut contraint de reprendre beaucoup d'éditions anciennes, qui ne répondaient pas toutes aux exigences de la philologie et qui ont été remplacées depuis. Le mode d'emploi actuel de la Patrologie latine est indiqué dans le Supplément rédigé par A. Hamman et ses collaborateurs (17 fascicules, Garnier, 1957-1975). D'autre part, de grandes collections où l'on entreprit, après Migne, dès la fin du siècle dernier, de republier toutes les œuvres des Pères de l'Église sur des bases rigoureusement scientifiques, s'enrichissent encore aujourd'hui de nouveaux volumes, comme, par exemple, le Corpus Scriptorum Ecciesiasticorum Latinorum (Vienne, 1894 et s.), Die Griechischen christlichen Schriftsteller der ersten drei Jahrhunderte (Leipzig, 1897 s.) et, plus récemment, le Corpus Christianorum (Series latina, series graeca, Turnhout, 1953 s.).
Outre les Pères grecs et latins, on découvrait plus tardivement les Pères des Églises d'Orient : éthiopiens coptes, syriaques, arabes, arméniens, qui se sont éloignés du reste de la chrétienté à la suite du concile de Chalcédoine, dans la seconde moitié du Ve siècle : géorgiens et slaves, demeurés dans l'Église universelle jusqu'au Xle siècle, quand l'Orient et l'Occident se séparèrent par méconnaissance mutuelle de leurs traditions, beaucoup plus que sur des raisons doctrinales. Les Pères des Églises d'Orient nous ont conservé, parmi un grand nombre d'œuvres originales et notamment de poésies, parfois très puissantes et (p.90)extrêmement belles comme les Hymnes du Syrien Ephrem (306-373) ou de l'Arménien Nersès le Gracieux (mort en 1173), de précieuses traductions de textes liturgiques ou doctrinaux qui permettent de retrouver certaines des sources parmi les plus importantes et les plus anciennes, dont l'original n'a pas été conservé. Qu'il suffise d'évoquer le nom de saint Irénée (130-200), évêque de Lyon, premier témoin du Christ dans les Gaules, dont la Démonstration ne nous est plus connue qu'en traduction arménienne. L'étude de ces auteurs commença dans l'indifférence générale au début du XXe siècle grâce à des collections comme le Corpus Scriptorum Christianorum Orientalium (Paris, puis Louvain, 1903 s.) et la Patrologia Orientalis, de R. Graffin et F. Nau (Paris, puis Tumhout, 1907 s.) : le premier volume de cette série, tiré à 1800 exemplaires, ne fut épuisé que 70 ans plus tard, tant il trouva peu de lecteurs, même parmi les théologiens. L'ensemble de ces textes constitue une documentation fort complexe, dans laquelle les spécialistes eux-mêmes ne parviennent à se repérer que grâce à des manuels ou à des guides bibliographiques comme la Clavis Patrum Latinorum d'E. Dekkers (2e éd., Turnhout, 1961) ou la Clavis Patrum Graecorum de M. Geerard (3 volumes, Turnhout, 1977). Ce dernier ouvrage signale — avec une précision jusqu'alors inédite, quelles que soient d'ailleurs les imperfections qui subsistent encore pour chaque auteur grec —, toutes les traductions antiques existantes, aussi bien en latin que dans les différentes langues de l'Orient chrétien.
TOUTES ces publications savantes constituent, en quelque sorte, la base logistique sur laquelle ont pu prendre appui d'autres tentatives de rendre les Pères de l'Église accessibles à un plus vaste public, dans des éditions comportant, avec des traductions, les éclaircissements historiques et théologiques indispensables à la compréhension des textes. Si l'on excepte les quelques textes essentiels (Pères apostoliques, Philon, Justin) publiés au début du siècle, dans la collection Hemmer-Lejay, la première tentative pour faire connaître les Pères aux chrétiens de langue française fut la collection « Sources Chrétiennes », dont le projet conçu dés 1932-37 par des R.R.P.P. jésuites de Fourvière, ne fut mis à exécution qu'en 1942, au moment le plus sombre de la guerre. Depuis son premier tome, paru en 1943, jusqu'à nos jours, «Sources Chrétiennes » a publié, sous la direction des R.R.P.P. Daniélou, de Lubac et Mondésert, plus de 260 volumes d'auteurs autant grecs que latins, divers auteurs orientaux en traduction française et, en dehors des textes chrétiens proprement dits, quelques documents juifs ou hétérodoxes, capitaux pour l'intelligence du christianisme. Citons par exemple la Lettre à Aristée (SC n° 89) qui raconte comment, au deuxième siècle avant notre ère, la Bible fut traduite en grec par 70 traducteurs juifs d'Alexandrie (Les Septante) ; les œuvres de Philon (20 avant Jésus-Christ — 50 après Jésus-Christ; série spéciale, 35 volumes), témoin essentiel de l'exégèse judaïque de la Bible en milieu juif hellénisé au premier siècle chrétien ; les Targums du Pentateuque (SC 245-246-261), qui renferment l'exégèse officiellement en usage dans la Synagogue au Ile siècle de notre are ; la Lettre de Ptolémée à Flora (SC 24), document authentique sur le valentinisme, hérésie gnostique du IIe siècle ; le Rituel Cathare (SC 236), témoignage très important sur la dernière manifestation de l'hérésie gnostique en Occident, etc...
Dans toutes les publications, les directeurs de la collection sont restés fidèles aux objectifs définis dans la note liminaire de leur premier volume : présenter des (p.91)
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