Méditation sur le principe de la vie morale

Cardinal Henri de LUBAC
Dieu le Père - n°140 1998 - Page n° 119

Nous remercions les éditions Beauchesne, 7, cité du Cardinal-Lemoine, 75005 Paris, qui nous ont autorisés à reproduire cet article du Père Henri de Lubac paru dans la Revue apologétique.

Cette méditation, datée d'octobre 1937, a pour objet de fonder le principe de la vie morale sur l'attrait de l'amour divin, amour gratuit de Dieu le Père capable de toucher le coeur de l'homme conscient de son péché

Une telle prise de conscience dans la liberté de l'appel divin est un premier pas dans la voie de l'acceptation qui sera celle de la libération.

 Toute la présentation par Georges CHANTRAINE, pages 119-121, est jointe.

Présentation.

Un an avant d’éditer son premier livre, Catholicisme [[ H. de Lubac, Catholicisme. Les aspects sociaux du dogme (= C), coll. « Unam Sanctam » 3, Paris, Éd. du Cerf, 1938, 368 p.]], Henri de Lubac a publié, en 1937, dans la Revue apologétique, une « Méditation sur le principe de la vie morale »[[ H. de Lubac, « Méditation sur le principe de la vie morale », dans Revue apologétique 65, 1937, p. 257-266.]]. Il y poursuit sa réflexion sur la liberté, inaugurée dans les années 1920-1923, pendant ses études philosophiques, avec ses confrères et amis, les pères Yves de Montcheuil, Gaston Fessard et Robert Hamel [[ Ainsi dans une lettre du 23 février 1923, écrite de La Félicité, près d’Aix-en-Provence, H. de Lubac écrit à R. Hamel : « Je pense qu’il y a toujours plusieurs objets, et donc que l’hypothèse d’une liberté avec un seul objet présent n’est pas à envisager. Un motif, dès là qu’il est déterminé, a un corrélatif. Une branche d’alternative appelle forcément l’autre branche. C’est là une application de la loi des corrélations des concepts, qui vaut pour tout le domaine objectif. S’il n’y a qu’un objet, ce ne serait pas un objet, le sujet serait donc dans de tout autres conditions que celles où il se trouve présentement, et la liberté par conséquent serait autre. (C’est ce qui sera au ciel : Dieu, seul terme du vouloir et de la connaissance.) »]] . Il y traite de la (p.119) liberté de la créature humaine. Cette contribution est à lier à une seconde, « Esprit et liberté dans la tradition théologique » [[Dans Bulletin de Littérature ecclésiastique 40, 1939, p. 121-150 et 189-207.]], publiée deux ans plus tard, en 1939, dans laquelle il s’interroge sur la liberté des anges [[L’examen approfondi de cette question formera la deuxième partie du Surnaturel. Études historiques, coll. « Théologie » 8, Paris, Aubier, 1946, p. 187-321.]], se demandant si les anges sont infailliblement bons ou si, au contraire, ils sont invités à choisir le Bien ou le Mal [[Ces deux contributions seront publiées dans le volume 14 des Œuvres complètes du Cardinal H. de Lubac (la seconde dans une version ultérieure).

Le 11 décembre 1998, se tiendra à l’Institut de France une conférence de presse, présidée par le cardinal Jean-Marie Lustiger, archevêque de Paris, au cours de laquelle interviendra le Prof. Pierre Chaunu. Les Éditions du Cerf y présenteront les premiers volumes de ces OEuvres complètes : Le drame de l’humanisme athée (vol. 2) et Paradoxes (vol. 31).]].

 

Selon Henri de Lubac, dans la « Méditation » que nous publions, « l’obligation fondamentale » qui vient de notre vocation à la vie divine établit la « condition générale » (infra, p. 127) de la moralité et ce qui la rend en général possible. « La Méditation » a pour objet propre de montrer comment cette condition est « concrètement réalisable » (p. 127). S’inspirant de la conception patristique du « mal en son essence intime » [[C (n. 1), 9-12. L’importante note 10 de la « Méditation » qui suit fait remonter du péché originel, situé en nous, jusqu’au Christ.]] et la renouvelant, H. de Lubac voit cette condition « concrètement réalisable » dans la « conscience coupable », perçue même avant le premier péché, et dans le devoir de la reconnaître telle [[À la « conscience malheureuse » de Hegel, (p. 130, n. 12), H. de Lubac préfère la « conscience coupable » (ibid.), éveillée dès avant la première faute personnelle.]]. « Dieu est amour » : c’est le principe de la morale. H. de Lubac justifie ce principe grâce à une idée thomiste :

« Pour s’excuser d’obéir, il faudrait pouvoir s’excuser d’être » (p. 125). S’inspirant aussi de M. Blondel, il comprend cette idée comme « un premier acquiescement jailli de l’être même » (p. 126).

Dès lors « la pure obligation du devoir kantien » et le « pur fait que traduit le fameux “nous sommes embarqués” de Pascal » (124) ne se justifieraient qu’en dehors de la réalité ontologique [[De manière analogue, Yves de Montcheuil, confrère et ami de Henri de Lubac, a traité, vers les années 1920, le même problème dans « Dieu premièrement moral », inédit publié par Communio (13/2, 1988, p. 36-45) : « Mais pourquoi l’ordre des choses est-il respectable ? Pourquoi y a-t-il obligation de s’y astreindre ? Pourquoi l’ordre serait-il préférable au désordre, si celui-ci me plaît ? On arrive là au point où il n’y a rien à répondre. À qui refuse de poser l’obligation, il n’y a pas moyen de montrer qu’il doit la poser [...] » (42).]]. (p.120)

 

Par une analyse réflexive, H. de Lubac a tenté de fonder le principe de la vie morale : l’attrait de l’Amour divin qui appelle tous les hommes peut toucher celui qui a conscience du péché et accepte l’offre divine qui le libère. Les deux éléments qui sembleraient s’opposer : l’amour gratuit de Dieu le Père et la conscience du péché, se tiennent au contraire dans la « felix culpa » (« l’heureuse faute »). La miséricorde paternelle est intérieure à la conscience qui se reconnaît pécheresse, et réciproquement [[Cf. P. McPartlan, The Eucharist Makes The Church. Henri de Lubac and John Zizioulas in dialogue, Édimbourg, T. & T. Clark, 1993, p. 239-244. À notre sens, la « Méditation » d’H. de Lubac est axée sur Dieu le Père.]]. C’est sur l’élan mystique que se fonde concrètement la morale.

(1) Sans cet élan, « la vie morale risque de n’être qu’un refoulement » [[H. de Lubac, Sur les chemins de Dieu, Paris, Aubier-Montaigne, 1956, p. 189.]]. Elle l’évite grâce à la conscience du péché [[Dans les Paradoxes, suivi de Nouveaux Paradoxes (= PNP, Paris, Seuil, 1983), où il cite la fin de cette «Méditation », le P. de Lubac a ajouté : «Toutes les explications, mêmes les plus justes, de la psychanalyse et toutes les diatribes que d’aucuns se croient obligés d’en tirer contre le “sentiment de culpabilité” ne prévaudront pas contre ce bienfait » (96).]].

(2) Au contraire, « dans son désir d’une libération dont les techniques doivent être l’instrument, l’homme va jusqu’à renier tout ce qui fait sa condition d’être dépendant et voudrait, pour ainsi parler, n’être pas né, c’est-à-dire existant, n’avoir point eu à naitre. Son refus du providentialisme se durcit ou se déforme en un rejet de la paternité divine » [[H. de Lubac, Affrontements mystiques, Paris, Éditions du Témoignage chrétien, 1949, p. 42.]]. C’est selon ces deux considérations que cette « Méditation » nous oriente vers Dieu le Père.

Georges Chantraine, s.j.

(p.121)

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Henri de LUBAC


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