Dom Robert LE GALL
Bienheureux les coeurs purs
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n°79
Septembre - Octobre
1988 - Page n° 86
L'amour de Dieu, seul capable de nous rendre aptes à le contempler, purifie le coeur aussi bien par le feu que par l'eau; la ferveur et les larmes sont deux manifestations complémentaires de l'amour de Dieu répandu en nos cœurs par son Esprit. La Règle de saint Benoît, fidèle en cela au patrimoine des premiers moines d'Égypte, montre avec une discrétion qui impose le respect que le regard du coeur, porté sur Dieu dans la prière, a constamment besoin d'être purifié par les larmes de la componction.
Comme les vertus, comme les dons du Saint-Esprit, les béatitudes sont connexes, c'est-à-dire qu'entrer dans la joie pascale de l'une d'entre elles revient à les habiter toutes. Cependant, de même que chez un saint une vertu peut être prédominante — la pauvreté chez saint François, la chasteté chez sainte Maria Goretti ou la force chez les martyrs —, de même telle béatitude peut avoir une affinité spéciale avec une physionomie spirituelle ou un état de vie. Ainsi, la béatitude des miséricordieux peut convenir davantage à tous ceux qui ont le charisme de la compassion ; celle des artisans de paix paraît caractériser l'influence divine dont jouissent ceux qui travaillent à mettre plus de justice, de solidarité, de communion dans les • diverses sociétés ou groupes humains. Bien entendu, personne ne peut se réserver l'une ou l'autre comme son domaine particulier. Il ne peut s'agir que de nuances entre les formes de sainteté et les états de vie, car il n'est qu'une sainteté, il n'est qu'une perfection, celle du Père, que nous montre le Fils par transparence et que nous communique l'Esprit, celui que saint Thomas appelle magnifiquement Perfecti opens auctor. Comme la lumière blanche est décomposée dans le spectre solaire en sept couleurs, ainsi l'unique béatitude divine se réfracte ici-bas en huit béatitudes reliées entre elles ; ensemble, dans le Corps contrasté de l'Église en son pèlerinage de foi, elles renvoient au Père l'unique lumière, l'unique sainteté dont il est la source.
« Heureux les coeurs purs ils verront Dieu ». Les moines n'ont pas le monopole de la pureté, ni le privilège de la vision de Dieu. Par vocation, cependant, ils s'orientent tout entiers vers Dieu — ce qui est le sens de leur voeu de « conversion des moeurs» selon la Règle de saint Benoît — se coupent de tout ce qui n'est pas lui, et tendent à ne devenir qu'un regard vers lui. Saint Théodore Studite, higoumène (c'est-à-dire abbé) du monastère de Stoudios à Constantinople au début du IXe siècle, aimait cette définition : « Est moine celui qui dirige son regard vers Dieu seul, qui s'élance en désir vers Dieu seul, qui prend le parti de servir Dieu seul, et qui, en possession de la paix, avec Dieu, devient encore cause de paix pour les autres. » Un apophtegme d'un Père du désert exprime cette réalité de manière plus incisive : « Le moine, comme le séraphin, doit être tout oeil ». Plus proche de nous, le mot de Thérèse d'Avila est bien connu : « Je veux voir Dieu », et elle est entrée dans la vie d'une moniale carmélite. [...]
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