Pie XII réduit au silence

L'argument du dernier film de Costa-Gavras, Amen, selon lequel Pie XII a gardé le silence sur la Shoah « par crainte des rouges et par collusion avec les bruns », ne résiste pas à l'analyse. Mais il fallait créer un personnage conforme à l'image contemporaine d'une papauté complice du pouvoir, dont le silence s'oppose à la parole prophétique. Manipulation anachronique, dont les dérives imposent de soumettre les « fautes du passé » au regard d'une histoire toujours à faire, qui se garde de juger.

Leur première rencontre avait été très prometteuse. Sitôt inventé, le cinéma s’était intéressé à la papauté, et l’un des premiers films réalisés montrait la célèbre scène de Servitude et grandeur militaires, dans laquelle Napoléon et Pie VII s’affrontent à armes inégales. Alfred de Vigny avait représenté le bénédictin devenu pape écrasé sous les paroles de l’artilleur devenu empereur, et ne répondant à l’indigne algarade que par ces deux mots murmurés : commediante... tragediante... Il n’avait pas besoin d’en dire plus : tout le monde savait le combat séculaire de la papauté contre la puissance croissante des États laïques. En 1804, Pie VII avait accepté de bénir le couronnement de Napoléon, dans l’espoir – vain – d’obtenir quelques avantages pour la liberté de l’Église. Puis Rome avait été occupée, le pape fait prisonnier et le Vatican déménagé jusqu’à Paris au nom des idées modernes. Mais au final, c’est bien le pontife qui avait remporté la bataille contre le dictateur. Et le réalisateur de ce court métrage avait bien compris tout l’intérêt dramatique de cette scène aussi suggestive que fictive : montrer un quasi-silence opposé aux menaces, le faible potentiellement victorieux du fort. Le pontife refusa, tant qu’il put, de devenir le « grand aumônier » du nouvel Empire d’Occident. Mais c’est un miracle qui le sauva : la défaite de la Grande Armée dans la campagne enneigée de Russie. En définitive, Pie VII eut la gloire d’avoir résisté au « caprice de la tyrannie », comme disait Chateaubriand. [...]

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