La controverse sur le « droit au blasphème » en France (avec pdf)

M Philippe PORTIER
L'idée d'Université - n°225 Janvier - Février 2013 - Page n° 112

Depuis que le blasphème ne tombe plus sous le coup de la loi, chacun peut dénoncer librement la croyance de son semblable dès lors que sa parole ne porte pas atteinte à la dignité de sa personne. Mais l’atteinte aux croyances n’induit-elle pas nécessairement l’atteinte aux personnes ? C’est bien autour de la question des limites de l’autonomie que s’agence aujourd’hui le principal de nos disputes civiques. 

Le blasphème n’est pas, dans l’histoire occidentale de la foi, demeuré toujours attaché à la même signification. Il a pris la forme, d’abord, d’un usage erratique du nom de Dieu. Les autorités religieuses le décrivaient comme l’antonyme du serment. Celui-ci liait l’homme à son Créateur par une « adresse officielle d’engagement ». Le blasphème portait, quant à lui, une parole sans nulle performativité : on le disait constitué lorsque le locuteur prononçait « en vain », selon la formule du Décalogue, le nom de l’Éternel : le juron représentait l’archétype de cette mauvaise façon qui s’opposait alors au jurement. Cette signifi -cation s’est progressivement effacée 1. Dès saint Augustin, la théologie, en appui sur maints fragments de la Bible, mais en écho aussi aux textes de Platon, impose une autre conception. Le blasphème n’est plus seulement ce flatus vocis, ce cri d’inadvertance. Il devient un acte volontaire de sécession : il qualifie désormais la parole de rupture qui vise, par l’insulte ou la raillerie, à outrager Dieu expressément.

 L’Ancien Régime a vu les deux puissances se coaliser pour proscrire l’expression de ces paroles impies. L’Église a, de son côté, construit la doctrine. Progressivement, à partir des XIIe-XIIIe siècles, qui signalent un moment de rationalisation du religieux chrétien, ses subtils docteurs précisent la nomenclature des fautes et des peines. À mesure que s’étend le protestantisme, le législateur ecclésial tend d’ailleurs à relier, de plus en plus fortement, blasphème et hérésie, sans les confondre cependant. L’État a, du sien, assuré la répression. Le blasphème tombe aussi, en effet, sous le coup du droit pénal, et non seulement sous celui du droit canonique. L’exécution du chevalier de La Barre à Abbeville en 1766 signale [...]

 

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1. Giorgio Agamben, Le sacrement du langage. Archéologie du serment, Paris, Vrin, 2009, p. 57-80.

 

 

 

 


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