Mme Irène FERNANDEZ
Littérature et Vérité
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n°235
Septembre - Octobre
2014 - Page n° 31
S’appuyant sur un paradoxe énoncé par Maurice Blanchot selon lequel tout récit « va avec certitude vers le bonheur d’une fin, fût-elle malheureuse », l’article montre que certaines caractéristiques de la modernité (ses préventions contre l’idée même d’une fin, d’un sens qui s’y rattache, sa méfiance vis-à-vis de la notion d’auteur) conduisent à rendre illisible et stérile l’héritage biblique et impossible la pensée d’un salut.
Maurice Blanchot dit de tout récit qu’il « va avec certitude vers le bonheur d’une fin, fût-elle malheureuse2 ». La formule est singulière, et ne se comprend pas d’emblée, mais ce n’est pas un paradoxe anodin, et on verra qu’en en déroulant les implications, elle nous mène plus loin qu’on ne pourrait le croire.
Qu’un récit aboutisse à une fin, cela semble aller de soi. Mais il faut noter tout de suite qu’il ne s’agit pas d’une fin matérielle, qui existe forcément toujours, dans l’interruption de la voix du conteur ou le point final du livre ; il s’agit d’un dernier mot décisif qui donne forme à tout ce qui le précède3. Le récit — l’histoire, le roman — relève ainsi de la définition célèbre de la Poétique d’Aristote, en formant un « tout » qui comporte « un commencement, un milieu et une fin ». Il en est ainsi du moins s’il s’agit d’une « histoire bien constituée », qui ne doit « ni commencer au hasard ni s’achever au hasard4 », et que l’on suit donc jusqu’à sa fin, cette fin qui « couronne l’oeuvre », selon le vieil adage — Finis coronat opus.
Mais pourquoi donc cette fin serait-elle toujours un « bonheur », même si, comme cela est fréquent, elle n’a rien d’une « happy end » ? La formule de Blanchot nous fait soupçonner qu’il y a anguille sous roche dans l’apparente banalité de celle d’Aristote. Ce n’est pas une pure constatation, mais plutôt une prescription, et qui peut donc être transgressée. Et qu’arrive-t-il dans ce cas ? Le récit peut-il survivre en l’absence de cette structure, et surtout quand il a le malheur de ne pas avoir une fin ? La modernité, pour employer un terme simplificateur mais commode, répond résolument « oui » à la question, et se pique d’une nouveauté radicale dans une multitude d’oeuvres qui n’ont plus [...]
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* Devise de Marie Stuart marchant à l’échafaud.
2 Le livre à venir, Folio/Essais, 1959, p. 280.
3 L’étude classique sur la question est celle de Barbara Herrstein Smith, Poetic Closure : A Study of How Poems End, University of Chicago Press, 1968. Elle ne vaut pas seulement pour la poésie, mais aussi pour la fiction narrative.
4 Poétique, chapitre 7, 1450 b 26-35. Il s’y agit premièrement de la tragédie, mais aussi de l’épopée, mais comme l’ont montré les meilleurs commentateurs, ces idées s’appliquent à toute « représentation d’actions humaines par le
langage » (Roselyne Dupont-Roc et Jean Lallot, dans leur traduction du texte d’Aristote, Seuil, 1980). Voir Ricoeur, « Une reprise de la Poétique d’Aristote », Lectures 2, p. 464-479.
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