M. Christophe BOURGEOIS
Littérature et Vérité
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n°235
Septembre - Octobre
2014 - Page n° 79
Tel que le conçoit Barthes, le désir du Neutre nous situe peut-être au cœur des difficultés qu'affronte la littérature moderne : à la fois hantise et quête du sens, désir du roman et évitement du récit, le Neutre révèle un rapport particulier à la langue et aux signes qui s'apparente volontiers à une mystique négative. La négation de soi-même s'y présente comme la condition d'une expérience plus authentique du monde: comment comprendre ce paradoxe?
Tel que l’envisage Roland Barthes, « le Neutre » offre un angle de vue singulier pour discerner les forces qui animent la modernité littéraire. On objectera avec pertinence qu’ériger cet écrivain en emblème des paradoxes de notre culture peut apparaître comme une indélicatesse ou un outrage, tant il est vrai que son éclectisme se conçoit comme un mouvement irréductiblement singulier et que le Neutre qu’il désire est celui qui, précisément, « déjoue le paradigme1 ». Pourtant, cette atopie de Barthes est justement ce qui en fait l’un des pères de la culture lettrée d’aujourd’hui : non seulement les commémorations, éditions et commentaires se succèdent mais, plus encore, c’est peut-être parce que Barthes n’est plus tout à fait brandi comme un fer de lance de l’avant-gardisme ou une machine à slogans qu’il nous révèle les contradictions de nos désirs littéraires collectifs. Il faut aller plus loin : le Neutre peut être
vu comme un désir, toujours mouvant et toujours ardent, qui polarise toute son oeuvre : cerner ce désir, cerner aussi l’utopie qui anime toute l’écriture qui le porte, offre une chance de mieux comprendre les utopies et les désirs qui habitent notre littérature depuis quelques décennies.
Il faut saisir dans toute sa vigueur l’intuition de Barthes : le désir du Neutre apparaît comme la condition de possibilité de toute littérature authentique. Une telle option choque évidemment le sens commun, pour qui l’écrivain prend la plume parce qu’il y a quelque chose à représenter et à dire, parce que le sens doit être formulé et partagé et qu’il est le mieux placé pour trouver la forme évidente qui lui convient. Il semble au contraire pour Barthes que l’écrivain soit d’abord là pour déjouer le sens et pour dédire plutôt que pour dire. Déconstruction de la rhétorique, refus de l’univocité, privilège accordé à la subversion et aux dysfonctionnements de l’écriture : il n’est pas difficile de reconnaître ici une aspiration que partagent bien des écrivains et des intellectuels de notre [...]
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1 Le Neutre, cours au collège de France, texte établi, annoté et présenté par Thomas Clerc, Seuil/IMEC, 2002, p. 31. Toutes les citations de ce texte renverront à cette édition.
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