Dominique-Marie DAUZET
Manger
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n°259
Septembre - Octobre
2018 - Page n° 85
L’abstinence entre autres de nourritures carnées est un aspect de la pureté et de la perfection recherchées par les premiers moines. Mais cette ascèse risque d’entraîner vers le gnosticisme manichéen et s’avère un « marqueur » plus formel et social que spirituel. La tradition monastique en vient donc à proscrire ou limiter la consommation de viandes comme renoncement à quelque chose non pas de mauvais en soi mais de naturellement bon.
La nourriture dans le monde monastique occidental – usages, prescriptions et interdits – fait depuis quelques années l’objet de très nombreuses recherches de la part des anthropologues ou des historiens des pratiques sociales et culturelles, au premier chef des historiens des pratiques alimentaires1. Le matériau offert au chercheur est immense : traités et sermons, pénitentiels, chroniques et cartulaires, hagiographie, tous racontent la centralité de la table et de l’alimentation dans la vie cénobitique. Dans ces brèves pages je n’envisagerai pas la problématique générale de l’ascèse et du jeûne, et mon propos se limitera à quelques remarques sur le point précis de l’abstinence de viande.
Les présupposés de l’abstinence de viande
Je voudrais rappeler en commençant que la culture monastique, fondée essentiellement sur la lectio de l’Écriture sainte et des Pères, a pu puiser aux origines du récit biblique son végétarisme, ou sa méfiance vis-à-vis de l’alimentation carnée. Le texte de Genèse 1, 29 est formel :
Voici que je vous donne toute herbe portant semence à la surface de la terre, et tout arbre qui a en lui fruit d’arbre portant semence : cela vous servira de nourriture.
Jusqu’au Déluge, dit l’Écriture, le régime alimentaire consiste en végétaux. Les Pères ne se font pas faute de le dire et redire. Lorsque vient la « chute », et donc la violence, l’homme montre son vrai visage, et la consommation violente (car il faut tuer) de la chair des animaux en est le signe. Si Dieu concède finalement à Noé de manger de la viande (Genèse 9, 3), c’est qu’il prend acte de la nature pécheresse et violente de l’homme. Mais comme le dit saint Irénée, citant les presbytres qui avaient connu Jean et rapportaient les paroles même du Seigneur, l’état paradisiaque – où personne ne tuait personne pour manger – reviendra à la fin des temps : [...]
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1 Une pléiade d’excellents chercheurs italiens et français, médiévistes et modernistes, est attelée au travail. Je mentionne simplement les professeurs Massimo Montanari (Bologne), Bruno Laurioux (Tours), Cécile Caby (Lyon II). Le dernier ouvrage collectif traitant de notre sujet : Marie-Pierre Horard et Bruno Laurioux (dir.), Pour une histoire de la viande, Presses Universitaires de Rennes, 2017, 448 p.
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