Hitchcock : le mal et la rédemption

Il ne faut pas confondre dans l'œuvre de Hitchcock le matériau et le discours : le suspense dont il est le maître est « par nature religieux ». Tous ses héros vivent une épreuve où s'affrontent le bien et le mal, dans un combat où ils se découvrent eux-mêmes à la lumière christique du rachat et de l'espérance.

Alfred Hitchcock aurait eu cent ans avec la fin du siècle. De nombreuses rétrospectives sont consacrées à son cinéma. La portée religieuse de son oeuvre est connue depuis l’ouvrage de Claude Chabrol et Éric Rohmer (Hitchcock, Éditions universitaires, Paris, 1957). Mais depuis, l’oeuvre de Hitchcock a suivi un nouveau cours. Communio a voulu en faire le bilan. Nous remercions Patrick Piguet d’avoir interviewé Yann Terrien qui prépare un ouvrage sur le cinéma d’Hitchcock.

P. Piguet : Vous ne cessez, depuis 20 ans, d’explorer l’oeuvre d’Hitchcock. Est-ce à dire que le cinéaste serait décidément autre chose qu’un « maître du suspense », une proie pour la psychanalyse ?

Yann Terrien : À l’occasion du centenaire de sa naissance, j’ai revu, à la cinémathèque, l’ensemble de son oeuvre et lu ou entendu nombre de commentaires, et il m’a semblé que le malentendu s’était accentué avec une partie du public et une certaine presse.

P.P. : De quel malentendu s’agit-il ?

Y.T. : Hitchcock n’a été célébré que pour avoir exprimé une fantasmagorie autour du sexe ou des pulsions de meurtre. Plus que jamais, le contresens repose sur un postulat esthétique. On continue à confondre le matériau et le discours. Un cinéaste qui traite de meurtre et de sexe ne serait qu’un obsédé du meurtre et du sexe... Alors qu’Hitchcock réfléchit sur ce qu’il montre : par exemple, ce qui l’intéresse dans Marnie, la kleptomane éponyme, ce n’est pas le personnage, mais le regard que les autres protagonistes portent sur elle. Il faut considérer que tout film est chez lui confrontation de deux forces antagonistes, de deux personnages et Hitchcock porte un regard sur cette opposition elle-même. Il échappe ainsi au manichéisme. Hitchcock ne cesse de démonter les mécanismes de la perception ; toute idéologie est un prisme trompeur ; tout personnage projette sur l’autre sa structure mentale. Hitchcock nous invite à prendre conscience de ce processus pour ne pas en être dupe. [...]