André DEPIERRE
La fidélité
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n°4
Mars - Avril
1976 - Page n° 71
La première page, 71, est jointe.
Quand fut suspendue la première expérience des prêtres ouvriers, ceux qui obéirent avaient conscience, non de trahir, mais d'approfondir une double fidélité à l'Église et au peuple qu'elle leur avait confié. DIEU nous choisit le premier. Il nous marque chacun pour une tâche précise dans la construction de son royaume au coeur de l'humanité. Il ne revient jamais sur ses promesses ni sur ses choix. Je ne parle pas ici seulement du prêtre, mais de tout homme, de toute femme. Quand Dieu nous donne sa foi, c'est Lui qui nous est d'abord fidèle. Ayant fait dans l'Église, d'accord avec mon évêque — à l'époque le Cardinal Suhard — et en équipe avec mes compagnons laïcs et prêtres, le choix de devenir ce qu'on a appelé par la suite prêtre-ouvrier, j'ai toujours cru — nous avons toujours cru collectivement les uns et les autres — que nous, répondions à un appel de Dieu sur nous. Cela, nous l'avons dit, redit, écrit, surtout durant les onze années noires que nous avons vécues dans l'Église, de 1954 à 1965. Finalement, nous avons été entendus : notre vocation a été reconnue non seulement par une décision unanime des évêques de France et du Saint Père en 1965, mais aussi par un document officiel du Concile sur le sacerdoce.
La fidélité du croyant est une réponse à la fidélité de Dieu. Pour comprendre et vivre la nôtre, il faut regarder tous ceux qui nous ont précédés dans cette voie : Abraham, Jacob, Moïse, Elie, Samuel et les prophètes. Quels dialogues, quels face à face entre le Seigneur et eux ! La fidélité leur fut souvent occasion de déchirement, toujours de renoncement à eux-mêmes, parfois après d'âpres combats. Rappelons-nous les rudes dialogues de Moïse avec Dieu, la grande plainte, et le sursaut de révolte de Jérémie : « Tu m'as séduit et moi j'ai été séduit ». Finalement, après les débats et les larmes, le dernier mot du croyant fidèle est (p.71) toujours « oui ». Oui à Dieu. Le Maître, Jésus-Christ, se fit obéissant jusqu'à la mort, et la mort de la Croix. Pas de fidélité à Dieu sans purification. Le « Si tu ne renonces pas à toi-même » est dans le contrat, dès le départ. Il faut. le savoir. Un jour ou l'autre, il faudra bien que, contre mes idées, contre mes choix, contre mes amours, peut-être même apparemment et provisoirement, contre l'engagement de toute ma foi, je renonce à ce qui m'est plus cher que ma propre vie, pour ne plus devenir qu'un oui à Dieu. Tout cela n'a rien à voir avec une obéissance passive et bêtement soumise, qui dirait oui d'avance à tout. On rejoint alors le Oui, je viens » de l'Incarnation, le « Père, non pas ma volonté, mais la tienne » de l'agonie. Ces deux oui sont les réponses les plus personnelles et les plus libres qui soient, puisqu'elles nous libèrent de nous-mêmes, pour rejoindre le don d'Amour le plus complet : celui de Dieu.
Plus concrètement, quand les autorités romaines nous ont demandé en 1953-54 de quitter ce que nous pensions être la chair même de notre vocation, j'ai personnellement dit oui. D'autres frères aussi, d'ailleurs. Mais, ce faisant, je n'étais pas guidé par une volonté d'obéissance disciplinaire. J'ai cru alors profondément qu'il n'y avait pas d'autre chemin que celui d'être broyé, dans ma propre Église — puisque c'était elle qui le demandait — pour communier un peu à l'obéissance de Jésus-Christ au Père. Et pourtant, je pensais, et je pense encore, que les raisons données par ceux qui nous ordonnaient de quitter le travail ouvrier (non pas nos évêques : ceux-ci, déchirés comme nous, nous transmettaient l'ordre), étaient de mauvaises raisons. Mais je ne me suis pas placé sur le plan des raisons données par la hiérarchie : j'ai essayé de rejoindre un peu Jésus-Christ répondant à la volonté de son Père. « Le disciple n'est pas au-dessus du Maître ». Il nous en avait avertis.
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