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Josef PIEPER
Les chrétiens et le politique - n°6 Juillet - Aout 1976 - Page n° 92

La prophétie, se présente à moi «du point de vue de l'après », de fait «autrement », c'est-à-dire de façon plus exacte et plus claire qu'avant. 

Le texte entier est joint.

  LES Evangiles, entend-on dire, auraient été écrits «du point de vue de l'après », à savoir du point de vue de la situa­tion radicalement changée par la résur­rection de Jésus; après cet événement, tout ce qui s'était auparavant passé serait apparu sous un jour tellement «autre» qu'il ne saurait plus être question d'un récit historique; il s'agirait plutôt d'une interpré­tation des événements et des paroles «à la lumière de la foi pascale ».

Cette thèse que l'on entend souvent, je voudrais lui donner à méditer une petite aventure, qui pourrait quelque peu la relati­viser et la remettre à sa juste place. Pen­dant un séjour aux Indes, je rencontrai un jour, c'était à Bombay, un vieillard qui me proposa de me lire les lignes de la main. J'étais de bonne humeur et, à moitié sé­rieux, me laissai faire. Bien vite, je m'éton­nai, et la chose devint plus sérieuse que je n'aurais attendu. L'homme me glissa dans le creux de la main un bout de papier roulé en boulette sur lequel, après s'être détourné de moi, il avait auparavant écrit quelque chose. Il me demanda ensuite de lui citer un chiffre de un à neuf, puis le nom d'une fleur. Je devais avoir à ma dis­position le nom anglais d'au moins cinq fleurs ; j'avais donc un éventail de cinq fois neuf, donc de quarante-cinq réponses possibles. Je citai donc un chiffre et une fleur. Le vieillard me dit alors qu'ils étaient écrits sur le bout de papier que contenait ma main. Et c'était bien le cas. Il me dit ensuite deux ou trois choses qu'il est inu­tile de raconter ici ; en tout cas, il y en avait une dont je ne savais pas moi-même si elle était vraie; ce n'est que deux semai­nes après, alors que je n'étais plus depuis longtemps à Bombay, que j'en reçus confir­mation d'Allemagne. Au moment de nous séparer, le vieillard ajouta : « Votre pied ne foulera plus jamais le sol indien». Je ris et lui donnai raison car, de fait, je n'avais aucun voyage aux Indes en perspective. C'est de cette «prophétie» seule que je vais maintenant m'occuper; on verra bientôt pourquoi.

De retour des Indes, j'ai bien sûr raconté à mes amis cette intéressante rencontre, et la prophétie qui la concluait. Et il est vrai­semblable que je ne l'ai jamais redite de la même manière. J'ai dû dire tantôt que l'on m'avait prédit que je ne reverrais plus jamais les Indes ; tantôt, que mon premier voyage aux Indes serait aussi le dernier; une autre fois, que mon chemin ne passe­rait plus jamais dans le pays du Gange, etc. Toutes ces formulations étaient, on le reconnaîtra, sinon littéralement fidèles, du moins une reproduction parfaitement adéquate et exacte de ce qui m'avait vraiment été dit. Or, l'année d'après, je fus opinément invité au Japon. Je devais survoler les Indes et faire escale à Calcutta. Je repensai évidemment au vieillard de Bombay, et je me dis : ou bien sa prophé­tie va se révéler fausse, ou bien, pour telle ou telle raison — un accident peut-être — l'atterrissage n'aura pas lieu. Il n'en fut rien. Peu de temps avant d'atterrir, alors que je voyais déjà en-dessous de moi les larges méandres du Gange, l'hôtesse nous dit : « Nous prions nos passagers en transit de rester à bord ; nous redécollerons dans quelques minutes ». C'est alors seule­ment que je me ressouvins clairement que mon devin ne m'avait en fait rien dit d'au­tre, sinon que mon pied ne foulerait plus jamais le sol indien. Ce en quoi il avait raison. A partir de ce moment, il ne me fût bien sûr plus possible de répéter aucune de mes anciennes formulations. Il avait fallu que je les révoque et que je les répute fausses — alors qu' «avant », j'étais par­faitement en droit de les employer. Ce qui avait été dit, la prophétie, se présenta à moi «du point de vue de l'après », de fait «autrement », c'est-à-dire de façon plus exacte et plus claire qu'avant.

Ne pourrait-on pas dire la même chose du regard en arrière porté par les témoins qui avaient vu et entendu ce que Jésus de Nazareth avait dit et fait ? Ne leur avait-il pas été promis que ce ne serait qu'après coup qu'ils «se souviendraient de tout»? Et que peut vouloir dire «inspiration », si ce n'est la garantie de l'identité du récit avec ce qui s'est effectivement passé ?

Josef PIEPER

(traduit de l'allemand par Rémi Brague)

 


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