Du danger de mélanger les bergers et les mages...

Les bergers appartiennent-ils au récit de Luc ou de Matthieu ? Le roi Hérode apparaît-il dans les deux ? L’épisode de l’Annonciation se trouve-t-il dans tous les évangiles ? On a tendance à tout mélanger et l’on entend souvent étayer des théories sur l’Incarnation par des épisodes indistinctement pris chez Luc ou chez Matthieu. Par habitude, par négligence ou par insouciance, ces deux évangiles se voient érigés en simples recueils d’anecdotes. En piochant indifféremment dans l’un ou dans l’autre, en prenant un mage ici, un archange là, une visitation là et un massacre d’innocents ici, en subsumant le tout sous le concept de «Verbe de Dieu » (qui est propre à Jean), les théologies se construisent sans se soucier des copyrights. Or, comment croire que Luc et Matthieu sont de simples biographies de la vie de Jésus ? Même si on les considérait comme des ouvrages historiques, ce serait une étrange conception de l’histoire que de croire que l’on peut se dispenser de la construction du fait historique propre à chaque synthèse. Mais en réalité ce ne sont pas des ouvrages historiques : les évangiles déploient une lecture théologique de la vie de Jésus, qui suppose un choix des éléments biographiques (les biographèmes pour parler comme l’analyse narrative), un agencement, une interprétation. Mélanger les éléments, les chronologies et les épisodes, fût-ce pieusement et fût-ce sans volonté consciente de concordisme, expose à ne pas comprendre que deux compréhensions distinctes de l’Incarnation sont à l’oeuvre dans les récits évangéliques et qu’elles en produisent une théologie nuancée et subtile. Il suffira, après les avoir examinées l’une et l’autre, d’évoquer les apocryphes pour s’en convaincre. [...]

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