Je suis l'aveugle-né"

M.-T. B. nous livre ici sa perception de l’Incarnation à travers l’expérience d’une intervention banale, nécessaire au traitement d’une affection grave.

Allongée sous le voile bleu qu’on a posé sur ma tête, à l’abri de l’éclat du scialytique, je repose, le regard perdu dans la lueur bleutée qui m’isole du monde extérieur. Je suis prête pour l’intervention qui prélude aux traitements à venir. Tout mon être, tendu d’impatience, l’oreille en alerte, guette les mouvements de l’infirmière et du médecin, le bruit métallique des instruments qu’on prépare.

Premières piqûres, puis les gestes dont je perçois la précision maîtrisée. Et voici qu’une voix parle, calme et persuasive : elle dit le geste, elle en dit le sens au moment même où ma chair tressaille sous la pression de la main. Et c’est comme si la main parlait... Alors s’éveille en moi une évidence : cette main, ce médecin inconnu – que je ne vois pas, que j’entends – je suis son prochain, si proche de mon corps fragilisé, de cette chair qu’il travaille pour me soigner, le prochain le plus proche dans les gestes qu’il conduit sans hésiter ; non pas la main mise sur moi d’un pouvoir inconnu, mais une main qui parle, qui me parle.

Une onde de confiance m’envahit, une image surgit, portée par la voix : je suis l’aveugle-né sous la main de Jésus, qui me parle... La main, la voix... « Le Verbe s’est fait chair »...Et si proche, plus proche encore, la vie du Christ au jour le jour, de la naissance à l’agonie, dans la réalité tangible de sa chair d’homme... Il faut que ma propre chair connaisse telle alerte pour me faire sentir la Présence charnelle qui m’atteint de sa parole : de l’abîme du mystère, l’incarnation affleure...Tout mon être la reçoit, détendu, comme la relation première, l’unique, au-delà du dicible.